L’ivrEscQ : Votre livre La Guerre de la honte Torture de la guerre d’Algérie 1954-1962 est paru en France chez Publibook (2010), ensuite aux éditions Sedia, tout récemment (août 2012). Pourquoi, l’appelé français de la guerre d’Algérie que vous êtes, aviez tant besoin de publier, en plein débat sur la mémoire, sur l’ouverture des archives, les exactions, les tortures, la reconnaissance, les excuses et la repentance… de faire appel à un livre-témoignage ? Serait-ce la conscience d’un passé douloureux qui, cinquante ans après les faits (après les crimes !), remonte à la surface du présent ?
Yves Salvat : J’ai vécu ce que les patriotes français avaient vécu pendant l’occupation allemande. À cette époque, en 1941, la gestapo (la police secrète du 3ème Reich) était venue arrêter mon père pour « menées subversives » (1). En fait, mon père avait été déporté. Des milliers de français ont subi le même sort à l’instar des internés politiques qui, eux, sont venus dans « des camps algériens » (2). C’est pour vous dire qu’étant très jeune, le déportement de mon père m’avait trop marqué. Plus tard, lorsque j’ai passé mon service militaire en Algérie, j’ai assisté aux mêmes scènes que les Français ont subies lors de l’occupation allemande. En clair, l’armée française a reproduit sur les populations musulmanes le schéma de comportements inhumains infligés par les nazis. Cependant, je ne pouvais pas mélanger entre les souvenirs de l’enfance et les tortures de guerre que j’avais vécues. Pierre Paraf (3), un homme de paix, a voulu savoir ce que c’était une guerre. Il a fini par préfacer Le feu qui a obtenu le prix Goncourt en 1916. C’est lui qui m’a insufflé l’idée d’un livre-témoignage : « tu devrais, toi aussi, écrire un livre sur la guerre d’Algérie vu que tu y as participé ». Je ne savais pas écrire, mais il m’a beaucoup aidé. La préface de mon ouvrage est signée par lui. Je considère aussi qu’on ne doit pas imposer à un jeune homme de vingt ans un mode de vie éloigné du contexte dans lequel il a grandi. Il doit plutôt s’épanouir, car aucune guerre ne lui permet de se développer harmonieusement.
L. : Pierre Paraf est aussi un « guerrier » connu dans les arènes antiracistes ! Dans la préface de votre livre-témoignage, il n’hésite cependant pas à nommer « ennemi » la population musulmane, colonisée, « indigènisée » par un code déshumanisant. Il écrit, je cite : « Dans cet ouvrage, nulle haine de l’ennemi, mais plein d’amour pour la nation »… C’est presque une phrase qui justifie sa signature dans votre préface. Qui sonne comme déjà un regret d’écrire !
Y. S. : Oui, évidemment, nous sommes des Français, seulement nous dénonçons l’abus de certains. Il faut avant tout être humaniste et défendre le droit des hommes quelle que soit la nationalité de la personne opprimée. Je tiens à préciser que ce n’est pas une position d’un Français contre sa nation, mais bien au contraire, une position d’un Français, fier de l’être, à l’égard des personnes brimées, torturées, avilies, vilipendées(…)
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