Spécialiste en bibliothéconomie, Mehenni Akbal est Maître de conférence à l’Université d’Alger (Bouzaréah). S’appuyant sur une réflexion multidisciplinaire et une documentation inédite sur le parcours littéraire et pédagogique de Mouloud Feraoun, il a publié trois essais consacré à cet immense écrivain.
Vous avez consacré deux essais originaux sur l’oeuvre romanesque de Mouloud Feraoun (Les Idées médiologiques chez Mouloud Feraoun, ENAG-Dahlab, 2001, et Mouloud Feraoun et l’éthique du journalisme, Editions El-Amel, 2007) et publié récemment ses correspondances jusque là inédites avec le journaliste Maurice Monnoyer qui a interviewé les fondateurs de la littérature algérienne des années 1950. Pourquoi cet intérêt à cet écrivain ?
Mehenni Akbal : Merci de relever le caractère original de mes textes. Le Professeur Mahfoud Kaddache, qui a préfacé les deux travaux, a eu le même sentiment.
La réponse est simple. Mouloud Feraoun est très intéressant. Son parcours est digne d’intérêt. Ce n’est pas seulement un écrivain. C’est aussi un penseur, un intellectuel. Il a composé une oeuvre d’une extrême richesse où de nombreuses approches y sont applicables. En effet, le philosophe, l’ethnologue, le linguiste, le sociologue, le spécialiste en sciences de l’information et de la communication, le spécialiste en bibliothéconomie, l’historien, etc. peuvent y trouver matière à étude et à réflexion. Etudier ses écrits me parait normal pour l’universitaire que je suis.
Les Idées médiologiques chez Mouloud Feraoun et Mouloud Feraoun et l’éthique du journalisme ont-ils pour objectif de révéler un autre Feraoun dans les stratégies modernes de la communication ?
Ils révèlent bien plus que ça. Ils révèlent un Feraoun qui avait une bonne longueur d’avance par rapport à son temps. Ils révèlent un Feraoun visionnaire. En effet, il a sur un ton prophétique touché subrepticement du doigt des questions lancinantes (l’éthique du journalisme, les rapports incestueux entre le pouvoir politique et le pouvoir médiatique, les rapports incestueux entre les médias, etc.) qui ne sont devenues objet d’étude et de recherche qu’à la fin du siècle dernier.
L’analyse que vous faites de son roman Les Chemins qui montent en décèle un aspect inédit : l’unanimisme autour d’un fait-divers rapporté par la presse locale et qui ouvre le récit en italique. Pourtant Mouloud Feraoun n’était pas un journaliste…
Mouloud Feraoun n’était pas un journaliste. Il avait d’ailleurs refusé sèchement plusieurs propositions de collaboration à des journaux. C’était un homme libre. Il aimait sa liberté et il y tenait. Ce qui ne l’a pas empêché de s’intéresser à un fait-divers local pour produire Les Chemins qui montent qui est à classer parmi les chefs-d’oeuvre littéraires et artistiques.
Quels sont vos références théoriques pour un tel travail d’analyse d’un auteur souvent perçu à travers le prisme de l’ethnologie ?
Mes références théoriques ? Il y a du beau monde : Henri Atlan, John L. Austin, Jean Baudrillard, Régis Debray, Jacques Derrida, René Descartes, Umberto Eco, René Girard, André Glucksmann, Jack Goody, Bruno Latour, Karl Popper, Thomas S. Kuhn, etc. Mais je n’en fait pas une « religion » ou un mode de pensée. Car en général toutes les théories se valent.
Une théorie est une démarche qui consiste à concevoir et à percevoir les faits et à organiser leur représentation. Elle sert à découvrir un fait caché. C’est une construction de l’esprit élaborée sur la base de l’observation d’une réalité. C’est pour cela que toutes les théories sont prisonnières ou otages d’un système de représentation bien précis. Elles sont de ce fait réductrices, partielles, provisoires et factuelles. C’est pour cette raison que j’ai eu recours à une sorte de pluralisme paradigmatique. Ce dernier, quand on maîtrise ses attributs, sert à mieux décrire, définir, comprendre, expliquer, représenter un phénomène.
Dans ses correspondances avec Maurice Monnoyer, les lettres de Feraoun révèlent en lui un homme de culture modeste mais très exigeant dans l’écriture romanesque.
Au risque de vous contredire, Mouloud Feraoun n’est pas du tout un homme de culture modeste. Sa formation, à l’Ecole Normale, était loin d’être superficielle. Il était lié d’amitié avec de grands écrivains : Albert Camus, Emmanuel Roblès, Germaine Tillion, etc. Tous ces gens l’ont reconnu comme étant le fondateur de la littérature algérienne d’expression française. Il a beaucoup lu et était un fin connaisseur de la littérature française et universelle. Il a une maîtrise parfaite de ses outils et de ses instruments. Oui, son écriture est, en effet, romanesque et marquée par son humanité. Son oeuvre est vraie. Feraoun a dit vrai.
Comment avez-vous rencontré Maurice Monnoyer ?
Ayant lu son livre Journaliste en Algérie ou l’histoire d’une utopie (L’Harmattan, 2001), et appris qu’il avait été l’ami de Mouloud Feraoun, j’ai désiré entrer en contact avec lui. Je lui ai adressé un e-mail : il a accepté de me rencontrer. Je me suis rendu en France, dans le cadre d’un séjour scientifique, en mars 2009, et eu le privilège de m’entretenir longuement avec lui dans sa Résidence à Montpellier. Il m’a montré les lettres (inédites) que Mouloud Feraoun lui avait adressées. Ainsi est née en moi l’idée d’écrire un livre relatant l’amitié nouée entre ce journaliste et Mouloud Feraoun.
Vous venez de publier un opus Mohammed Dib, conférencier : Maurice Monnoyer témoigne (Editions El-Amel, 2009). Pourquoi avez-vous privilégié l’expression à la création romanesque ?
Je n’ai pas privilégié l’expression (la conférence) à la création artistique et littéraire. Mais Maurice Monnoyer m’ayant dit que personne ne savait que Mohammed Dib avait fait une conférence sur la faim de certaines populations en Algérie, j’ai pensé qu’il fallait le faire savoir. Je suis honnête en précisant dès la première page que j’ai fait oeuvre de documentaliste et non de critique littéraire ou d’historien. Documenté par Maurice Monnoyer, j’ai rendu compte par des textes et des documents peu connus et/ou inédits des premières années d’écrivain de Mohammed Dib dont la célébrité universelle est allée grandissante jusqu’à s’établir définitivement. Cet opus rend compte d’une conférence donnée par Mohammed Dib, sous le titre « Le prolétariat des villes », aux Journées d’études du Secrétariat social d’Alger tenues, à Alger du 27 au 30 mai 1954. Cette conférence, qui est une véritable dénonciation et révélation de la colonisation, a été donnée à l’instigation de Maurice Monnoyer.
Il faut préciser que le Secrétariat social d’Alger est l’oeuvre de Père Henri Sanson. Né, en 1917, à Seiches-sur-le-Loir, il est issu d’une famille paternelle originaire d’Evreux et d’une famille maternelle musulmane originaire de l’Oranais. Jésuite depuis 1940, il est Algérien en Algérie, Français en France. Il est Docteur ès-lettres et chercheur au CNRS. En marge des enseignements qu’il dispensait à l’Ecole Secondaire Notre-Dame d’Afrique, il rejoint la Maison des oeuvres où il retrouve son vieil ami Eloi Laget. Tous deux, avec l’aide de l’abbé Brenklé et, sur les conseils de Joseph Folliet, qu’il avait bien connu à Lyon au 16 de la rue du Plat, de passage à Alger et, en liaison avec le Cardinal Léon Etienne Duval qui les encourageait, fondent le Secrétariat social d’Alger. Agréé en février 1951, il existe encore et, à ce jour. Le Père Sanson en assure la présidence. Réunissant d’éminentes personnalités (avocats, professeurs, agriculteurs, économistes, écrivains, …), le Secrétariat social d’Alger se distingue par de nombreuses publications à caractère sociologique et par l’invention de nouveaux concepts.
Vous êtes maître de conférences en bibliothéconomie et sciences documentaires à l’université d’Alger. Y-a-t-il un lien entre votre spécialité et vos écrits sur la littérature algérienne ?
Ce sont des travaux qui n’ont en réalité aucun lien direct avec mes préoccupations théoriques actuelles. Mais la conception de biobibliographies et de dossiers de documents inédits est une des tâches que s’assigne le spécialiste en bibliothéconomie.
Il n'ya pas de réponses pour le moment.
Laissez un commentaire