« La rédaction de mon livre a nécessité plus d’une vingtaine d’années (1983-2009). C’est le temps qu’il faut pour témoigner de l’«origine». Même Albert Camus a mis un quart de siècle pour se réapproprier L’Envers et l’endroit. Il se reprochait le fait de l’avoir écrit trop tôt »
L’ivrEscQ : On sent tout de suite, un peu naïvement peut-être, après la lecture de vos récits L’Or des rivières que tout ce que vous évoquez tourne autour du même grand thème : la Mère (dans toutes les acceptions du terme). Serait-ce le déchirement, l’impossible retour aux sources à cet univers, à la fois si cher et si lointain, qui vous «inspire» ?
Nimrod : J’ai le sentiment d’avoir œuvré dans le sens contraire. Ma mère (ou, pour abonder dans votre sens, l’attachement viscéral : c’est de cela qu’il s’agit) à la terre tchadienne, c’est le phénomène dans lequel je baigne au quotidien. En ce sens, je n’ai jamais été un exilé. Jamais. Sauf à prendre en compte le fait que l’exil, c’est aussi le sentiment douloureux d’être constamment renvoyé au lieu originaire sous le mode du manque, du ratage, de la frustration. Ce sont là quelques thèmes qu’aborde L’Or des rivières. La réponse que je vous fais est donc (je cite Albert Camus à dessein) «Entre oui et non». C’est le titre du second essai de L’Envers et l’endroit. Son auteur a su dire l’appartenance à la mère dès ses 23 ans. Pour moi, cela a été plus tardif. Je vous rappelle l’incipit de «Entre oui et non» : «S’il est vrai que les seuls paradis sont ceux qu’on a perdus, je sais comment nommer ce quelque chose de tendre et d’inhumain qui m’habite aujourd’hui». Pour ma part, ce que je m’efforce de dire dans L’Or des rivières, c’est le bonheur de depuis toujours. Nulle source ne m’est plus proche, et nul sentiment plus vivace. La rédaction de mon livre a nécessité plus d’une vingtaine d’années (1983-2009). C’est le temps qu’il faut pour témoigner de l’«origine». Même Albert Camus a mis un quart de siècle pour se réapproprier L’Envers et l’endroit. Il se reprochait le fait de l’avoir écrit trop tôt. Et la raison de ses réserves n’était pas que d’ordre esthétique. Ce qui nous touche intimement, il est en effet très difficile d’en rendre compte. Nous n’avons même pas besoin de «revenir aux sources» puisqu’elles sont en nous. Peut-être a-t-on juste besoin de souligner que le désir d’en témoigner traduit le fait que nous les avons perdues. Dès lors commence la littérature…
Suite de l’entretien dans la version papier
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