A la demande de nos lectoreurs à propos du roman historique «La Brèche et le Rempart» de Badr’Eddine Mili, présenté au précédent numéro, L’ivrEscQ consacre une interview à l’auteur pour comprendre davantage cette saga qui reconstitue la vie d’un famille algérienne face à la nuit coloniale.
CJournaliste, militant politique et syndicaliste, issu de la promotion de l’indépendance de Sciences Politiques de l’Université d’Alger, Badr’Eddine Mili, né à Constantine est, tour à tour, de 1966 à 1998, Conseiller à l’Union Générale des Travailleurs Algériens, Directeur de l’Edition à l’Agence Nationale de Publicité, Directeur de l’Audiovisuel au ministère de la Communication et de la Culture, Chargé de mission à la Présidence de la République et Directeur Général d’Algérie Presse Service (APS). Co-fondateur de l’Association des Editeurs Algériens et Consultant International en médias, il est l’auteur de plusieurs études sur les questions politiques, économiques et de communication. |
L’ivrEscQ : Comment est née l’idée d’écrire « La Brèche et le Rempart » ?
Badr’Eddine Mili : « La Brèche et le Rempart » est un travail littéraire sur la mémoire, la reconstitution romancée d’une période cruciale de l’histoire contemporaine de l’Algérie qui va de la fin de la Seconde Guerre mondiale à l’indépendance. Mon intention première était de raconter une histoire vraie qui ressemble aux Algériens, dans laquelle ils pouvaient se reconnaître facilement et qui les ramène à un temps qu’ils revisiteraient avec beaucoup d’émotion. J’ai choisi de raconter cette histoire sans fards, ni manichéisme, ni surdétermination. Je l’ai fait pour que cela serve à ranimer une flamme en ces temps où les gens cherchent des repères pour se ressourcer d’un monde en plein bouleversement.
L : Vous avez bâti le roman sur le mode de la saga…
B.M : C’est en effet la saga d’une famille algérienne plongée dans la tourmente d’une colonisation extrême dans un quartier populaire très pauvre de Constantine qui s’appelle Aouinet-El-Foul. Aouinet-El-Foul est une ravine située en contrebas de la ville par laquelle une partie des troupes françaises est montée en 1837 à l’assaut de la cité en ouvrant une Brèche dans le Rempart défendu par Ahmed Bey, Benaïssa et Belabdjaoui, d’où le titre du roman qui renvoie, selon une symbolique voulue, à l’impossible dialogue entre la société algérienne et l’occupant étranger.
L : Vous y faites défiler des dizaines de personnages. Que représentent-ils ?
B.M : Les personnages qui peuplent le roman sont nombreux. Ils sont représentatifs de plusieurs catégories sociales et de plusieurs niveaux de conscience. Il y a d’abord ceux qui constituent l’arrière plan de la saga. Les habitants de Aouinet-El-Foul, des restes de tribus éclatées, expropriées de leur lopin de terre, venues des contreforts d’El-Milia. Et ensuite les personnages-clefs qui vont peser de tout leur poids sur le cours de la saga de cette famille.
L: Le personnage central de la saga, c’est bien sûr Stopha. Il vit la colonisation comme un drame mais aussi comme un défi…
B.M : Le fil conducteur de la saga, comme vous dites, est Stopha, cet enfant, concentré de toutes les tragédies et de toutes les frustrations de l’époque, mais, aussi de tous ses rêves et de tous ses petits bonheurs. Il fait l’apprentissage de la vie en accédant, par grades, à la conscience de son environnement au contact de toute la pléiade des personnages qui peuplent le roman et qui vont concourir à la formation de sa personnalité. Après l’école coranique de Si Louafi, puis l’école privée de Aâlamani, un transfuge de la Zitouna qui déplaça la ligne d’horizon de Stopha de plusieurs années lumière en lui enseignant les poètes arabes, le voilà entrant à l’école Aristide Briand une école dirigée comme un stalag par le gauleiter Barrel.
L: Pourquoi avoir mis l’accent sur les enfants, les jeunes et les femmes ?
B.M: Les enfants, les jeunes et les femmes étaient les maillons faibles de la société de cette époque. Laminés par la misère, le déni identitaire, l’absence d’avenir, ils avaient plus vite accédé à la conscience politique et sociale malgré les faibles moyens intellectuels dont ils disposaient. C’est de ce fait, qu’ils ont naturellement trouvé leur place dans un récit qui les a saisis dans leur rapport à un temps et à un espace uniques en leur genre. Leur destin était d’avoir été élu pour vivre une époque qui deviendra une légende.
L: « La Brèche et le Rempart » se présente comme un roman-kaléidoscope où se chevauchent plusieurs récits …
B.M : Effectivement « La Brèche et le Rempart » est un récit à plusieurs voix. Un récit sur la société algérienne de l’époque, ses drames, ses espoirs, ses rêves, ses dynamiques politiques et sociales, le bouillonnement des idées pré-révolutionnaires et l’éveil à la modernité et à la conscience de soi et du monde. Un récit sur l’école coloniale, les valeurs qu’elle enseigne et leur négation dans la vie de tous les jours. Un récit sur la guerre, ses atrocités, ses traumatismes et l’implication de la femme dans le changement social avec en filigrane l’évocation de l’air du temps, de Constantine avec ses rituels, ses fêtes, ses musiques, sa médina, ses pieds noirs et ses juifs.
L : Pensez-vous avoir réussi, avec ce premier roman, à faire passer des émotions ?
B.M : Tel était, en tous cas, mon premier objectif. J’ai voulu d’abord rappeler le souvenir des hommes et des femmes qui ont tout donné y compris leur tête à la guillotine pour libérer les survivants sans avoir rien demandé en retour, ni gloire éternelle, ni reconnaissance posthume, ne sachant même pas que cela pouvait exister. Je désirais enfin chanter Constantine, sa nature exubérante, ses sources, son majestueux Chettaba, son Djebel El-Ouahch et son Rhummel, sa médina, ses arts, sa culture, ses femmes et toutes les figures emblématiques d’une ville millénaire inépuisable qui reste chevillée au coeur…
Suite de l’entretien dans la version papier
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Une Réponse pour cet article
C’est un roman magnifique, superbement écrit, très bien documenté et que j’ai adoré.
Une « bent roud »
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