Dans cet entretien, Régis Pasquet exprime sa passion pour le monde de l’enfance auquel il a consacré une saga intitulée Toutes nos vies coulent vers des jardins orange
L’IvrEscQ : Votre premier ouvrage Toutes nos vies coulent vers des jardins orange, est-il une autobiographie de votre enfance suggérée dans « jardins orange » ?
Régis Pasquet. : Je suis né en 1947. Ce qui signifie que la guerre d’Algérie s’est déroulée, pour moi, entre mes sept ans et mes quinze ans. Je garde en moi les souvenirs d’informations douloureuses entendues exclusivement à la radio, qui, chaque jour nous rappelaient cette guerre. La violence, le sang, la mort… Je me souviens des embuscades, des explosions de bombes, du malheur. Je me souviens de mots : les Aurès, Alger, la Casbah, Constantine, Palestro… Pourquoi Palestro? Et puis, à mesure que je grandissais, que je lisais, je me sentais davantage concerné par cette guerre qui semblait éternelle. Mes copains et moi, commencions à nous demander si à notre tour, nous n’allions pas être appelés à partir pour l’Algérie. Et puis, s’est installée en moi l’idée, je ne sais plus comment, que cette guerre était faite à un peuple qui, au fond, ne réclamait que sa liberté. Comme moi, Jules se demande quelle attitude il aurait eu : accepter de partir, obéir et au bout du compte tuer des hommes ou renoncer, déserter en laissant tout derrière soi. Absolument tout. Là, il n’y a pas de demi-mesure car nous sommes confrontés à une tragédie. C’est une vie qui se décide et se joue sur un coup de dés unique. C’est à la fois terrible et exaltant. Pendant toute mon enfance j’ai écouté mon père parler de la deuxième guerre mondiale, l’horreur, la douleur, la folie des hommes. Son père, mon grand-père, avait été résistant. Lui qui avait consenti avant son départ pour l’Algérie à quitter sa terre, à y arracher ses tripes de paysan pour devenir un simple ouvrier de la ville et complaire à sa femme. Il était allé, au risque de tout perdre, puiser encore plus profondément en lui pour y trouver l’amour des hommes. En vérité, je me suis toujours demandé si j’étais quelqu’un de bien. La réponse à cette question ne peut être que dans une tragédie.
L : Pourquoi l’Algérie ?
R.P. : Une année, lorsque j’étais au collège, quelques professeurs avaient essayé de mettre sur pied un voyage en Algérie pour notre classe de quatrième. Il était question de nous emmener à Aïn Témouchent (dit-on encore « la perle de l’Oranie »?) j’ignore pour quelle raison précise. Nous étions en 1960 et les parents d’élèves avaient évidemment repoussé vigoureusement ce projet. Moi pourtant, j’étais sûr que je devais y aller, que quelque chose d’inexplicable et peut-être de mystérieux m’attirait là-bas. En 1983, alors que ma soeur et son mari professeur d’anglais et coopérant vivaient à Mostaganem, je leur ai rendu visite pendant une quinzaine de jours. Je garde de ce séjour dans la ville, des alentours et d’Oran, les plus beaux souvenirs de ma vie! et depuis, une sensation de douceur, de lenteur, ne m’a plus quitté. C’est de cette période que date cette impression d’une lumière plus éclatante qu’ailleurs et que la palette des couleurs est là-bas dominée par les ocres et l’orange. Un jardin orange. Pour moi, le retour en Algérie ne pourrait se faire qu’en bateau car je ne prends plus l’avion en raison de mes convictions écologistes et parce que cette seule idée m’angoisse.
L : Comment vous est venu ce titre Toutes nos vies coulent vers des jardins orange?
R.P. : Habituellement, les titres de mes livres surgissent au cours de la période d’écriture. Brutalement, comme une évidence. Je ne m’en soucie guère (j’aime ce mot surgi de nulle part) ils se plantent devant moi. Là, ce ne fut pas le cas. Je traînais derrière moi une appellation commode qui ne m’embarrassait pas « Jules VI », parce que c’était le sixième tome de la série. Comme un nom de roi ou de pape. Un titre doit ramasser beaucoup de choses, comme la main, lorsque l’on joue aux osselets, qui balaye le ciment râpeux de la cour pour en rassembler le plus possible. Et puis, j’ai cherché longtemps avant de me décider pour cet alexandrin. Car c’en est un. Douze bons pieds. Pour partir en voyage. Et puis, il y a aussi, tel un wagon de queue, cet adjectif de couleur pour l’achever, asservi à sa règle d’accord, dont le «s» manquant perturbe, déstabilise, renvoie chacun à l’état de cancre honteux. Longtemps cette seule absence m’a mis mal à l’aise. Comme une faute, un péché de soi, seul connu et que l’on portera en soi pour l’éternité. C’est de la poésie… Notre vie est de la poésie.
Suite de l’entretien dans la version papier
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