Hamid Grine publie son dernier roman, il ne fera pas long feu aux éditions Alpha. De cette ambivalence dont il nous a habitués de non-dit sibyllin et d’exaltation des corps, le romancier manie toutes les facettes de la nouvelle écriture, et nous abreuve de détonantes bribes des destins…
L’ivrEscQ : Depuis le succès de La dernière prière ou Le café de Gide, vous revenez avec « Il ne fera pas long feu », un titre déroutant. Cette nouvelle trame relève-t-elle d’une volonté de vouloir parler des rapports de forces entre les personnes ?
Hamid Grine : Le titre est emprunté à une expression couramment utilisée, mais impropre. Au lieu de dire, «il fera long feu », on dit souvent «il ne fera pas long feu ». Dans le roman, c’est le titre d’un article qui est supposé abattre le chef du Gouvernement. En fait, c’est l’histoire d’un directeur mégalomane d’un petit journal. Ce directeur a deux objectifs : s’enrichir au plus vite et devenir un homme politique influent. Pour ce faire, il vend son âme au diable. Je veux dire au plus offrant. Maintenant, je reviens aux rapports de forces dont vous parlez. Depuis l’Antiquité et même bien avant, nous savons que les rapports humains sont d’abord des rapports de forces. Les rapports sociaux ou même les rapports de séduction, souvent sous-entendent les rapports de forces. Grattez le vernis de la plupart des gens et vous verrez.
L : Hassoud, le personnage principal, est un journaliste perverti par l’argent, il est prêt à vendre son âme au diable pour exister. Est-ce que l’écrivain n’essaye pas de taper haut et fort pour faire halte à la perte de l’homme ?
H.G. : Je voulais raconter l’histoire d’un milieu que je connais bien : celui de la presse. Je précise, cependant, que mon roman est de la pure fiction. Je n’ai pas vu dans le milieu de la presse algérienne un directeur de journal qui a les mêmes pratiques que le personnage de mon roman : un être fruste, sans foi, ni loi. Faire halte à la perte de l’homme? L’écrivain n’a aucun pouvoir, sinon celui de raconter des histoires. Il peut émouvoir et donner du plaisir à ses lecteurs, il peut même les aider à trouver leur voie, parfois même une raison de vivre. Mais les changer? Je ne crois pas. Si un homme est en vertige moralement, il doit se tourner vers la médecine et non vers le roman. Nous ne sommes ni gourous, ni guérisseurs.
L : Et pourtant vous atténuez le mal de Hassoud par son amour pour sa mère. Est ce que, selon vous, quelle que soit l’ignominie de l’être, un sage sommeille au tréfonds de chacun de nous, comme disent les sages orientalistes ?
H.G : Non, point de sage. Pour moi, le sage est supérieur à tout. Ici-bas, je n’ai point vu de sage. Dans les romans oui. Par ailleurs, même Sénèque n’était pas sage, sinon il n’aurait pas amassé une fortune. Marc Aurèle? Il était empereur. Il a fait couler beaucoup de sang. Mais, ces deux stoïciens se rapprochaient de la sagesse. Aucun sage ne sommeille au tréfonds de chacun de nous. Je vois plutôt le diable. L’être humain est fait de paradoxes. Celui qui est calme devant vous pourrait se transformer en tueur dix minutes plus tard. Sur une échelle de 10, l’être humain peut varier, selon son humeur et les circonstances entre 0 et 10. Pour en revenir à Hassoud, on peut aimer sa mère, et être à la fois un fieffé coquin et même un assassin.
L : Il y a ce tangage du fatum entre « le parvenu-plouc » et le devenir de la femme « épouse délaissée ou femme siliconée-consommation rapide ». Votre perception, est-ce un zoom universel ou simplement une dimension sociale qui nous est propre?
H.G. : Ce que je décris des rapports hommes/femmes dans le roman est vieux comme le monde. J’ajoute seulement quelques ingrédients propres à nous. Un plouc algérien ressemble à un plouc étranger. Il n’y a pas d’échelles dans la médiocrité. Et ces «parvenus-ploucs» comme vous dites ont le même regard de macho prédateur sur les femmes.
L : Parlez-nous de la part du rêve, des fantasmes, de l’amour, du romantisme dans ce dernier roman ?
H.G. : La part du fantasme, on la trouve chez le personnage principal, Hassoud. Il n’est que fantasme maintenant qu’il ne sert à rien de me forcer. Si l’histoire ne vient pas à moi, je ne pourrais jamais l’attraper.
L : Est-ce que ça vous touche quand on mêle le poste que vous occupez dans une multinationale à l’écrivain ? Il y a ceux qui disent que c’est à votre avantage, et ceux qui pensent que le talent de l’écrivain est brouillé par le poste ?
H.G. : Je n’aime pas ceux qui font l’amalgame. Lucidement, en me regardant de loin, je sais que certains ont raison de penser que je profite de mon statut dans l’entreprise. Pourtant, croyez-moi, je n’ai jamais sollicité un journal pour parler de mes livres. Bien au contraire, je refuse parfois des interviews quand je vois que l’approche est marketing. Pour répondre à votre question, je pense que ceux qui me lisent savent pourquoi ils achètent mes romans. Si je suis l’un des auteurs les plus lus actuellement, ce n’est pas grâce à l’entreprise où je travaille, non? Il y a d’autres écrivains qui ont des postes d’influence et qui n’ont aucun succès. Vous savez, les lecteurs ne sont pas dupes : si l’histoire est bonne, ils achètent grâce au bouche à oreille, si elle est mauvaise, même si l’écrivain est connu, ils n’achètent pas. Le talent de l’écrivain est brouillé aux yeux de quelques personnes pour lesquels chaque succès d’un romancier leur serait un véritable poison.
Suite de l’entretien dans la version papier
abonnez-vous à L’ivrEscQ
Il n'ya pas de réponses pour le moment.
Laissez un commentaire