Lecture croisée de Abderrahmane Djelfaoui et de Nadia Sebkhi accompagnés à la guitare par Mohamed Sergoua à la galerie d’art Benyaa

L’ivrEscQ : Vous avez suggéré les textes d’Anna Gréki pour un récital poétique à la galerie Benyaa. Pourquoi le choix de cette poétesse qui reste très peu connue de la jeune génération ?
Abderrahmane Djelfaoui : Si la regrettée Anna Gréki est décédée il y a maintenant 45 ans, en 1966, ses poèmes, eux, demeurent d’une magnifique beauté. Ses mots sont percutants et sonores, empreints à la fois de colère (contre la barbarie coloniale) et de tendresse pour la vie, pour l’amour et ses partages, pour l’enfance et ses paysages, pour les amis et les camarades vivants ou disparus, aussi pour l’espoir vif et plein de belles senteurs malgré les tortures, les prisons, les camps et les exils forcés… J’ai eu moi-même la chance de connaître très jeune les poèmes d’Anna Gréki, de les aimer au point que le recueil de poésie Algérie, Capitale Alger qui date d’un demi siècle n’a cessé de m’accompagner au fil des décennies… Cette rencontre à la galerie Benyaa nous permet de réentendre à nouveau la voix d’Anna Gréki et de la redécouvrir.
L. : Anna Gréki, née en 1931, a vécu dans les Aurès, une région aride et montagneuse, elle connaît l’humilité et la dignité des Chaouia…
A. D. : Oui, elle connaît et partage totalement dans son enfance cette vie montagnarde au grand air, à Menaâ, un douar à 900 mètres d’altitude sur les bords de l’oued El Abdi, à mi- chemin entre la ville de Batna (où elle est née) au nord et Biskra et ses palmeraies au sud. Toute sa vie, Anna Gréki, gardera l’émerveillement de ces lieux et de ses gens. Elle dit dans son poème Menaâ, écrit plus de 20 ans après :
«Même en hiver le jour n’était qu’un verger doux
Quand le col du Guerza s’engorgeait sous la neige
Les grenades n’étaient alors que des fruits – seule
Leur peau de cuir saignait sous les gourmandises»
Et insiste pour dire avoir vécu cette beauté du monde : «Jusqu’au fond de mes yeux chaouia.» Imaginons bien l’émerveillement de cette enfant, quand on sait qu’à cette période d’avant la deuxième guerre mondiale, son douar ne devait probablement pas avoir d’autre route qu’une piste, et ne disposait ni de poteaux électriques ni de téléphone. J’ajoute, pour préciser un peu cette époque, qu’Anna Gréki est juste née trois ans après Malek Haddad (1927) et deux ans après Kateb Yacine(1929). Ce qui explique qu’elle est imbibée au plus profond d’elle-même, aux mêmes titres que les grands auteurs algériens nés à cette époque, de fortes résonances du peuple, fier et généreux, même si misérable, qui commence son long chemin pour la libération nationale. 20 ans après, dans cette même localité de son enfance :
«C’est la guerre
Le ciel mousseux d’hélicoptères
Saute à la dynamite
La terre chaude jaillit et glisse en coulée de miel
Le long des éclats de faïence bleue
Du ciel blanc
Les bruits d’hélices
Ont remplacé les bruits d’abeilles»…
L. : Pourtant ses tendances politiques se dessinent à Annaba vers 1956…
A. D. : Certes, en 1956, elle écrit un long poème sur Bône (Annaba), où sa conviction pour la libération de l’Algérie est déjà faite depuis des années. Elle y écrit :
«Le couvre-feu déverse les rues mortes
dans le vide-ordures des onze heures du soir
O ville saignée à blanc […]
La guerre couperet mâle*
a traduit mon enfance
en charniers innocents»…
Suite de l’entretien dans la version papier
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