Tahar Ouettar reçoit L’ivrEscQ à son domicile rue Des Jardins à Hydra. Il est terrassé par sa maladie. Haletant, entre sa passion des lettres et son mal, il nous accueille chaleureusement autour d’une table garnie de gâteaux, de boissons fraîches et de thé. Son salon est un espace de livres.
Il y a partout des livres et des Prix qu’il a reçus sa carrière durant. Tahar Ouettar est si affable, pourtant très malade. Il ponctue notre échange par des temps d’arrêt. Cependant, l’écrivain ne peut s’empêcher d’évoquer ses frères des lettres et des circonstances de malheur. Nous détournons certains sujets car notre rendez-vous n’est guère aux regrets ni à de quelconques spéculations. Au nom de la mémoire de certains qui sont dans un monde meilleur, L’ivrEscQ n’est aucunement là pour reprendre des polémiques qui appartiennent au temps. Nous appuyons que notre ligne éditoriale témoigne de la grande famille de la littérature sans parti pris. Tahar Ouettar reprend son périple littéraire. Il se sent seul. Seul devant une maladie impitoyable qui n’épargne aucunement les communs des mortels. Il aime à la démesure la langue arabe. Il nous paterne. Il nous verse du thé et offre des gâteaux en insistant pour nous en servir. A un moment donné, nous nous sentons quasiment mal à l’aise en nous exprimant en langue française devant un chevronné de la langue arabe. Nous le titillons comme on aurait titillé un père en lui rappelant que nous sommes une revue algérienne francophone. Il sourit en nous racontant une anecdote : «Un jour, dans un avion, je croise un mannequin algérien d’une beauté époustouflante. Je tente de glisser quelques mots, la jeune fille me répond en français. Cela m’a refroidi. J’avais l’impression que j’étais face à un être en plastique. Cette jeune fille n’était pas comme mes cousines, mes soeurs». Histoire de détendre l’ambiance, nous reprenons : «Sommes-nous des journalistes en plastique ! » D’une grande affection, Tahar Ouettar élude notre propos badin et poursuit : «Un algérien doit être bilingue»; en effet, à travers l’association al-Jahidhya, dont il est le fondateur, l’écrivain a créé un espace qui a permis à plusieurs jeunes talents algériens d’émerger. Pour promouvoir la littérature, cette association décerne plusieurs prix littéraires notamment le prix maghrébin Moufdi Zakaria et le prix du premier roman en langue arabe.
Tahar Ouettar finit ses jours seul à repenser la littérature. Son dernier livre, il l’a écrit sur son lit d’hôpital, Kasid fi Atadalol paru aux éditions El Fadhaa El Hor dirigées par Zeïneb Laoudj. Il relate la mal-vie. Entre tristesse et impuissance, il nous explique que son ouvrage dépeint la dureté de l’administration. Le ras-le-bol de ce qui se passe dans certains hôpitaux : deux femmes qui accouchent côte à côte partageant un même lit étroit ou cet autre malade obligé de ramener un lit de chez lui pour être hospitalisé! En fait, des situations extrêmes qui frisent le délire ont interpellé Tahar Ouettar avant sa mort. A 74 ans, l’écrivain s’éteint nous laissant hagards dans des turpitudes qui nous incombent.
Tahar Ouettar restera dans le sérail des grands. La famille de la littérature algérienne a perdu une icône en verve.
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