Le lecteur de Rien qu’une empreinte digitale, d’un tel témoignage, de n’en sort pas indemne. Un témoignage bouleversant, à lire à deux niveaux :
– Celui d’une histoire individuelle.
– Celui d’une dérive de justice.
Notre interlocuteur-narrateur fait l’expérience douloureuse de l’univers carcéral sans qu’il sache les raisons. D’abord une arrestation arbitraire: «(…) Mais je suis pris d’assaut et de vertige jusqu’à l’hallucination, un commissariat de police où tout sombre dans la démence.» Puis, soudain, le sentiment de ne plus être, car rabaissé à un non-être: «(…) Ce qui reste d’un ingénieur d’État : une image pétrifiante de la compétence, du savoir et de la droiture, qui tombe en ruines.» Ce basculement d’un univers à un autre, lui donne «l’impression d’être séquestré par des fous qui l’accusent d’avoir détourné le soleil». Face à cet arbitraire, le témoin ne comprend pas les raisons de son arrestation. Pourquoi ? Pourquoi?
Un questionnement jusqu’à la déraison : «Le juge n’a peut-être rien contre toi, mais a ton nom» Le témoin est piégé par les murs et les mots et n’a aucun moyen de défense. Il ne voit pas l’issue de ce cauchemar. Il perd la notion du temps ; il pense à sa famille, à ses enfants, il fait une grève de la faim de neuf jours. Son état de santé se dégrade. Il n’est plus un être humain : «Que représente la vie d’un homme aux yeux de ceux qui font si peu de cas de sa liberté ?»
Dans cette situation absurde, il est le seul à se poser des questions, à se tourmenter, à tenter de comprendre «la logique» des faits : «Mostefa, le plus jeune des [détenus], d’habitude si gai, ne circule même plus comme les autres prisonniers. Il s’enferme dans la salle des prières et ne rejoint ses camarades que pour dormir. Un soir que je lui proposais de la lecture, il eut une réponse qui restera gravée dans ma mémoire: «Je ne veux plus rien lire, plus rien apprendre, ne plus jamais chercher à comprendre ? Ce dont je rêve, c’est d’être un âne. Un âne qui ne sait rien, mais libre dans les champs, vaut bien mieux qu’un savant dans une prison.» Notre narrateur ne croit plus à rien. Il en arrive à remettre en cause toutes les valeurs culturelles acquises. Il ne sait plus où est son devoir. Il croit à la vertu du savoir. Il ne peut rester inactif. Il veut donner un sens à sa vie. «Oui, si je dois passer ma vie en captivité, je l’emploierai à la réalisation de ce rêve simple et fascinant : plus personne qui ne sache lire et écrire dans cette prison.» Aider ses compagnons de souffrance à sortir de l’obscurantisme, à conquérir une seconde liberté pour pouvoir écrire des lettres d’amour. Cette déshumanisation programmée par ses frères, cette mutilation de l’individu, cette humiliation permanente sont pires que la mort. C’est dans ces conditions absurdes que les mots prennent un sens et que le narrateur découvre l’imposture des mots et le décalage entre le discours et la réalité. Ce qui lui donne des raisons d’espérer, ce qui le sauve et le réconforte, c’est la solidarité de ses compagnons d’infortune et la lutte acharnée de sa femme qui veut faire connaître cette forfaiture. Il va se rendre compte de l’inertie de la justice et du poids de la bureaucratie qui écrase l’individu. Ainsi, il est victime d’un double enfermement, l’autisme des institutions et le silence de la justice : prison des mots, prison des hommes. Accusé de détournement de biens publics, il se révolte contre le détournement de sa liberté. Enfin un procès – réclamé à grands cris : «Jugez-moi.», après 5 mois et 20 jours – qui met en lumière les dérives de justice (…)
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