En ce cinquantenaire de l’indépendance de l’Algérie, l’inflation éditoriale hexagonale a atteint aussi la littérature, et plus précisément sa parente pauvre, la poésie. Trois anthologies ont paru durant ce semestre, soit respectivement : Quand la nuit se brise, anthologie de poésie algérienne (Paris, Points, février 2012, 304 p.), de Abdelmadjid Kaouah ; Quand l’amandier refleurira, Une anthologie de poètes algériens contemporains de langue française (Paris, Éditions de l’Amandier, mars 2012, 69 p. ), de Samira Negrouche et Les poètes et la guerre d’Algérie ( Ivry, Biennale Internationale du Val-de-Marne, juillet 2012, 164 p. ), d’un collectif. Il convient de préciser d’emblée que l’anthologie de Kaouah est une réédition, à peine corrigée de quelques coquilles mineures, d’un ouvrage paru sous le titre Poésie algérienne francophone contemporaine (Marseille, Autres temps éditions, avril 2004). Elaborer une anthologie de la poésie algérienne d’expression française est un pari toujours audacieux. On connaît les limites et contraintes inévitables d’une telle entreprise : les critères de choix, l’absence de tel auteur, la place accordée à tel autre, la subordination à telle logique éditoriale. Kaouah explique en liminaire qu’il n’ambitionne pas d’arpenter la totalité du territoire de la poésie algérienne, de surcroît d’une grande fécondité.
S’il n’y a pas d’anthologie idéale, assure-t-il, qui mieux qu’un poète – chercheur par excellence en poésie – pourrait écrire sur les poètes eux-mêmes ? Poète, Kaouah l’est doublement : il est auteur de plusieurs recueils et d’articles incitatifs sur la poésie. Aussi, essaie-t-il de prôner un idéal, celui de faire connaître à son tour les poètes algériens, vies et œuvres. Ce faisant, il se réfère aux travaux de ses illustres prédécesseurs, de Jean Sénac (1926-1973) à Tahar Djaout (1954-1993) en passant par Jamel Eddine Bencheikh (1930-2005), tous poètes qui, pour les besoins de leur temps, ont établi de libres bilans devenus aujourd’hui balises pour la postérité autant que repères éclairants. L’originalité de Kaouah est de rassembler, sans pécher par omissions ni prétendre à l’exhaustivité, « toute » la poésie algérienne où se côtoient morts et vivants, valeurs sûres et créateurs ignorés, des années 1930 à nos jours, soit tout juste une vie d’homme. L’anthologiste propose donc de lire « la » poésie algérienne en restituant dans une longue introduction son jeune passé qui coïncide avec l’histoire du pays. À travers l’enchaînement de ses métamorphoses thématiques, la poésie a véhiculé en miroir les grandes étapes de l’Algérie. Le poète s’est érigé successivement en porte-parole de l’asservissement et de l’insurrection d’un peuple en contexte colonial, en partisan de l’espérance post-indépendante se défaisant de la rhétorique du réalisme socialiste, en redresseur de torts au regard des perversions de l’homme nouveau dans la république nouvelle, en perturbateur du discours dominant autant qu’en annonciateur de vérités à venir, enfin, en justicier désarmé condamnant sans appel l’innommable infamie intégriste. Mais la poésie algérienne, témoin et conscience de la nation, n’est pas que circonstancielle et évènementielle.
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