En cette année du cinquantenaire de l’indépendance de l’Algérie, on a éludé – sans doute par méconnaissance la pensée anticoloniale et les idées pro-algériennes de la philosophe Simone Weil (3 février 1909-24 août 1943). Aussi, est-il temps de les rappeler car elles font partie de l’histoire du nationalisme algérien. À l’époque du Front Populaire (1936-1938), Simone Weil intellectuelle débutant une œuvre lucide (laquelle sera publiée principalement à titre posthume par Albert Camus) prend sa plume pour dénoncer le système colonial en Afrique du Nord. Rien ne prédisposait cette parisienne à porter son attention sur cette contrée de « l’empire colonial français » où une perception des menaces est tangible, elle qui a consacré un véritable « traité de civilisation » pour l’Europe, selon l’expression de Camus. Les impératifs de son éducation-formation, de même que son vécu d’ouvrière relaté dans son essai devenu un classique La Condition ouvrière (1937), ne sont pas étrangers à son intérêt pour les colonisés dont les travailleurs émigrés algériens.
La pensée « algérienne » de Simone Weil comprend deux volets : d’une part, un réquisitoire/plaidoirie sur le sort des colonisés et des Algériens en France (1937-1943) et, d’autre part, une correspondance avec un interné espagnol au camp de concentration de Djelfa (1941-1942)
Les idées politiques de Simone Weil ont été rassemblées dans Ecrits historiques et politiques, deuxième partie : Politique (Paris, Gallimard, collection Espoir dirigée par Albert Camus, 1960). De son vivant, elle les avait publiés dans des bulletins syndicaux ou de petites revues de gauche très confidentielles. La question coloniale comprend donc neuf chapitres où l’Algérie et les travailleurs algériens sont récurrents.
Dans le premier article, Le Maroc ou la prescription en matière de vol (Vigilance, 10 février 1937), Simone Weil défend le système colonial français contre les velléités de l’Allemagne. Dans le second, Le sang coule en Tunisie (Feuilles Libres de la Quinzaine, 25 mars 1937), elle fustige les massacres des lointains « camarades mineurs » ayant refusé en mars 1937 une augmentation de la productivité en plein mois de ramadhan. Elle explique ces «morts hors programme» par l’attitude scandaleuse de la bourgeoisie et ses préjugés de classe vis-à-vis des indigènes à qui aucune liberté n’est accordée en matière d’organisation et de lutte ouvrières. Elle ajoute que c’est aussi « l’œuvre coloniale du gouvernement [qui] se réduit jusqu’ici à la dissolution de la courageuse Étoile Nord-africaine ». Elle conclut avec une grande prémonition en prédisant qu’une guerre mondiale en Europe susciterait « la grande revanche des peuples coloniaux pour punir notre insouciance, notre indifférence et notre cruauté ».
Il n'ya pas de réponses pour le moment.
Laissez un commentaire