L’intuition du film, c’était une forme où le passé et le présent pouvaient être réunis. Une forme où les temps s’interpénétraient
L’ivrEscQ : Vous avez consacré un film Les oiseaux d’Arabie à un interné espagnol républicain pendant la Seconde Guerre mondiale en France puis en Algérie, et ce à partir d’une correspondance de Simone Weil. Pourquoi ce choix et comment la transformation d’un langage épistolaire en images cinématographiques peut-elle être possible ?
David Yon : Tout d’abord, ce film est visible sur internet à cette adresse : vimeo.com/14863634 (mot de passe : antonio). Je souhaite sa libre circulation avant que le support numérique sur lequel il est enregistré ne disparaîsse. Le film est construit avec les lettres écrites par Simone Weil à Antonio Atarès en 1941-1942. Le projet a été pensé par mon frère, Mathieu, et moi-même. Mathieu était attiré par la quête spirituelle de Simone Weil et moi par sa recherche poétique et politique. Nous ne voulions pas faire une biographie de Simone Weil, mais créer une intimité entre le spectateur et la philosophe, offrir la possibilité d’un dialogue. Nous avons donc cherché dans ses correspondances et nous avons eu accès à ses lettres écrites à Antonio Atarès. Ces lettres sont belles et simples, elles rendent accessibles la pensée de Simone Weil de manière non didactique. Je devrais aussi dire que notre grand-mère est fille d’exilés espagnols et que nous nous sentions une proximité avec Antonio Atarès. Ces lettres sont la trace de ce qui a été l’événement, voilà 70 ans, et dont le film rend compte : la tentative de rencontre, la tentation de l’amitié, le désir fou de se mettre à la place de… Nous sommes donc partis à Djelfa afin de découvrir les lieux où Antonio avait été interné. Et dans cette terre qui nous était jusqu’alors inconnue, la rencontre avec ses habitants fut intense. Une histoire d’amitié est née. Le film s’est alors construit comme le prolongement de cet échange épistolaire. Avec la caméra, dans la rencontre avec les habitants de Djelfa, je recherchais cette « place » de l’autre. Imprégné des lettres de Simone Weil, je filmais les lieux que l’on dit de mémoire, le camp d’internement à Aïn S’rar, le fort Cafarelli, la poudrière, le cimetière chrétien et je ressentais que ces lieux étaient aussi d’oubli. Quelque chose d’une violence sourde qui se prolongeait. Cette dernière était le contrechamp des lettres de Simone Weil. Comme les lettres d’Antonio Atarès à Simone Weil ont disparu, les images du film sont une sorte de réponse aux lettres de la philosophe.
L : Comment s’est déroulé l’acte de filmer (scénario, choix du noir et blanc, équipe réduite, etc…) ?
D.Y. : Pour le tournage de ce film, je suis allé deux fois à Djelfa. La première fois, avec mon frère, j’ai apporté une caméra vidéo et un pied, j’ai filmé les lieux où a été interné Antonio : des plans fixes et longs avec une attention précise aux cadrages et à la lumière. De retour en France, j’ai monté ces images avec la voix des lettres et cela ne me satisfaisait pas. Il n’y avait pas assez de dialogues entre les lettres et les images. Quelque chose de trop froid. J’y suis donc retourné un an plus tard avec le besoin de filmer l’autre avec moins de distance, avec mon corps. Pour cela, j’ai emporté une caméra super-8 avec quinze bobines de film noir et blanc. Je relisais les lettres de Simone Weil à Antonio Atarès et j’essayais de filmer à la main, imprégné de ces lettres. Quelque part, j’ai essayé de voir ce que pouvait voir Antonio. L’intuition du film, c’était une forme où le passé et le présent pouvaient être réunis. Une forme où les temps s’interpénétraient. J’ai donc décidé de récolter différentes matières d’images, chacune appartenant à un temps distinct, les archives, le super-8 noir et blanc et la vidéo couleur (…)
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