Kaddour M’Hamsadji nostalgique d’une époque
L’ivrEscQ : À quand remonte votre vocation d’écrivain ?
Kaddour M’Hamsadji : D’écrivain ? Honnêtement, je ne le sais pas. Je vous répondrais autrement. Je me suis mis à écrire très jeune. J’avais peut-être une dizaine d’années. Nous étions en pleine Seconde Guerre mondiale. Nous subissions les effets des restrictions alimentaires, des privations de toute sorte et du marché noir, beaucoup plus que les Européens. Les fournitures scolaires étaient difficiles à trouver et coûtaient cher. Aussi, par exemple, avec les dernières pages blanches d’un cahier de l’année écoulée, je façonnais un petit carnet dont j’étais bien fier. Mes camarades algériens, et même juifs ou européens d’origine italienne ou espagnole dont les parents étaient des ouvriers aux ressources fort modestes, – mais pas les enfants de colons gros propriétaires terriens – en façonnaient pareillement. Pas de gaspillage ! nous criaient nos parents… J’écrivais ce que bon me semblait et surtout je recopiais avec une application infinie ce que l’on appelait à cet âge-là des « récitations », devenues aujourd’hui « les récitations de notre enfance ». Je les choisissais toujours très courtes. C’est ainsi que j’ai découvert quelques illustres poètes français : Victor Hugo, Alphonse de Lamartine, Jean Richepin, Jean de La Fontaine, Théodore de Banville, Paul Verlaine, Guillaume Apollinaire, Maurice Carême, Jacques Prévert, Charles Baudelaire, Jean Aicard, Joseph de Pesquidoux, Guy de Maupassant… ceux dont on apprenait en classe les « récitations ». J’en ai aussi découvert plusieurs chez certains camarades européens qui avaient des « livres de bibliothèque ». Dans ce carnet, je recopiais également des historiettes, des devinettes, des bons mots,… mes carnets constituaient, en quelque sorte, mes œuvres personnelles. Peu à peu, je m’étais mis à écrire mes propres « récitations » et mes propres « histoires » inventées ou inspirées de mon enfance et de mon adolescence. J’aimais cela. Autre chose m’émerveillait, au plus haut point : entendre le nom de l’auteur du texte à la fin de la dictée prononcé d’une voix de clairon par le maître et surtout d’une voix doucereuse et insinuante par la maîtresse quand la dictée était imprégnée de poésie. Le nom de l’auteur me semblait glisser alors à l’oreille tel un appel chuchoté à écrire comme lui ! Peut-être, était-ce déjà le début d’une vocation ? Peut-être bien.
L. : Vous avez publié votre premier livre La Dévoilée en 1959, chez un éditeur français de province, et ce avec une préface d’Emmanuel Roblès et un jugement d’Albert Camus. Comment un aussi précieux parrainage fut-il possible pour un auteur débutant ?
K. M. : Il me faut reconnaitre le professionnalisme de notre regretté Jean Subervie qui avait longtemps présidé aux destinées des éditions Subervie de Rodez dans l’Aveyron, en France. Son équipe et particulièrement Jean Digot, son rédacteur en chef, poète talentueux disparu en 1995, avaient une compétence dans le domaine du livre qui égalait, toutes proportions gardées en ce qui concerne les moyens matériels et financiers, celle des maisons d’éditions parisiennes, dites « grandes ». Certes, Subervie était un éditeur de province, en 1959, quand il a publié La Dévoilée, mais il avait su faire bellement rayonner la qualité de son labeur (…)
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