La récente réédition augmentée du livre d’Yves Lacoste, La Géographie, ça sert d’abord, à faire la guerre (Paris, La Découverte, octobre 2012) me rappelle un doux souvenir de jeunesse postcoloniale et donc celui d’une période historique de brusque mutation.
Nous étions au printemps 1972, la révolution agraire était dans l’air ( e ) du temps, dans les campagnes non encore désertées comme dans les médias des villes. Je préparais mon baccalauréat (avec une année de retard due à la guerre) en fréquentant assidûment le Centre culturel français d’Alger. Ce dernier avait programmé une conférence d’un certain « Yves Lacoste, géographe engagé » alors que je croyais cette discipline propice au simple rêve et l’engagement réservé exclusivement aux intellectuels (les écrivains, à la rigueur des philosophes tels Jean-Paul Sartre et Bertrand Russell avec leur « Tribunal pour le Vietnam »).
Ce patronyme Lacoste a-t-il un lien de parenté avec Robert Lacoste, dernier ministre-résident de l’Algérie, celui du dernier quart d’heure de 1956 qui s’éternisa jusqu’en 1962 ? Ou a-t-il un quelconque rapport avec la chemise haut de gamme ? « Non, répond notre professeur d’histoire-géo – un coopérant du VSNA (Volontaires du Service National Actif) – c’est un communiste qui a lutté pour l’indépendance de l’Algérie. Il est l’auteur d’un Ibn Khaldoun chez Maspero. » (Ah ! L’aura mythique de cet éditeur, ses Cahiers Libres étaient étalés dans toutes les vitrines des librairies d’Alger). Dans la petite salle rouge écarlate, il n’y avait pas grande foule et j’étais au premier rang. Un monsieur de taille moyenne, tout de noir vêtu, arpentant en tous sens l’estrade, triomphant, prononça sans notes une conférence. Il nous expliqua, avec forts exemples à l’appui, combien les cartes d’état-major ont servi les stratèges militaires de tous temps et de tous pays. Il souligna comment Napoléon Bonaparte dépêcha son espion Vincent-Yves Boutin comme consul en 1808 pour relever les tracés des côtes algéroises en vue d’un futur débarquement. Il souligna – actualité internationale du Vietnam oblige – pourquoi les Américains bombardaient les infrastructures des digues du Fleuve Rouge pour inonder les rizières et faire croire éventuellement à une catastrophe naturelle (…)
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