L’ivrEscQ : Dans votre ouvrage Guerre de libération et Révolution démocratique Écrits d’hier et d’aujourd’hui, vous abordez toute une palette richissime allant de la révolution, la démocratie, l’Occident, l’islam, la culture… en passant par des profils de Claude Bourdet, Frantz Fanon, Jacques Berque, Charles de Gaulle… Comment peut-on écrire un tel condensé, témoignage, tanguant aisément d’un thème à un autre à travers lesquels la vie du grand Homme que vous êtes foisonne ?
Redha Malek : Il est vrai que je parle de tout cela dans mon ouvrage. Cependant, il y a certaines choses qui avaient été déjà publiées auparavant. Vous savez, pour parler et marquer un temps d’arrêt sur la démocratie – puisque l’actualité du monde arabe sied – la nôtre ne date pas d’aujourd’hui. Le 1er novembre 1954, on avait décidé de changer son mode de vie contre l’obscurantisme, l’oppression, l’avilissement, les spoliations des biens… Enfin, pour l’Algérien qui a subi le colonialisme aliénant trop longtemps, avec ce fort désir d’en finir, c’est un acte démocratique universel. La démocratie s’oppose à toute forme d’injustice ou de tyrannie exercée par un pouvoir contre la volonté d’un peuple. Cette injustice vis-à-vis des Algériens était telle qu’elle tendait à l’annihilation du peuple par un processus de dépersonnalisation et d’atomisation implacable. Guy Mollet, président du Conseil français disait que « la révolte menée par les « fellaghas » était anarchique, faite par des bandits, des brigands, des fanatiques d’un autre âge ». Pourtant, à cette époque déjà, nous avions élevé le débat en montrant que la Révolution démocratique de tout un peuple uni postulait la liquidation radicale du colonialisme.
L. : En ces temps de révolution des printemps arabes, on voit toutes ces révoltes ici et là, pensez-vous que la démocratie puisse appeler à prendre des armes ?
R. M. : Bien sûr ! Chez nous, la révolution était une révolution armée parce que depuis des années nous appelions à la justice, mais en vain ! Nous voulions arriver à ce qu’on négociât avec nous. Nous étions « dépossédés » de nos droits, de nos biens pour reprendre le terme du professeur Jacques Berque, mais cela restait sans appel. Lors d’un voyage au Sud algérien avec Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir avait noté la « condition infrahumaine » imposée aux habitants. Germaine Tillion, décrivait cela en parlant de « clochardisation ». Jacques Chevallier, maire d’Alger et secrétaire d’État à la Défense attirait l’attention sur la « marginalisation d’un peuple réduit à une masse d’ombre au fond d’un tableau »… Mais, on n’avait jamais compris, ni agréé nos demandes… Donc, la seule solution était de passer à l’action, non pas pour vaincre l’armée française – nous n’avions pas cette prétention-là – mais pour refuser ses abus. Nous disions : « puisque l’Algérie est un département français, nous souhaitons que nous soyons traités comme des Français ». En 1947, ils avaient créé une assemblée avec le statut de l’Algérie, composée de soixante délégués moitié-moitié, pour un million qu’ils étaient et dix millions que nous étions, c’est ahurissant ! Aujourd’hui, si nos jeunes veulent comprendre le colonialisme, ils n’ont qu’à prendre le code de l’indigénat et le lire. Vous savez, à l’époque, le Gouverneur général pouvait vous enlever vos terres, pouvait vous mater, car il y avait même le délit du regard. Si vous regardiez le militaire ou l’administrateur, il pouvait prendre cela comme un défi et vous mettre en prison…
L. : En fait, dans votre ouvrage, des noms tels que celui de Frantz Fanon ou autres ont décrit l’état psychologique du combattant algérien brimé, celui qui revendiquait ses droits de vie les plus élémentaires…
R. M. : Beaucoup de Français ont compris que nous ne faisions pas la Guerre contre eux, mais contre le colonialisme. À l’exemple de Francis Jeanson, l’intellectuel engagé ou encore Frantz Fanon, cet intellectuel antillais. Effectivement, c’est sous l’impact de la révolution algérienne que ce dernier avait trouvé son ultime accomplissement. Il disait qu’il y avait un changement psychologique chez les Algériens qui se sentaient indépendants avant même l’indépendance, et cela par la lutte armée qu’ils menaient. Ces mutations psychologiques, Fanon les constatait : en 1956, les
Algériens achetaient des radios, et écoutaient les informations. Avant cette date, ils ne s’intéressaient pas à la radio coloniale. Ils commençaient aussi à se soigner et à prendre goût aux soins puisqu’il y avait des médecins dans l’ALN. Les femmes montaient au maquis, elles s’affirmaient, s’impliquaient… C’était une masse de paysans qui avaient pris les armes pour l’indépendance. Ils avaient subi des injustices terribles sans compter ces zones interdites. En fait, la révolution du 1er novembre 1954 avait pour dirigeants des militants professionnels aux origines sociales modestes et cela a contribué à donner à la lutte pour l’indépendance un contenu socio-économique affirmé. L’allégeance à la Nation, la lutte pour la libération nationale. Le régionalisme au profit de la Nation. L’individu ne dépendait plus du cheikh du coin ou d’une quelconque confrérie. Il agissait selon les ordres de l’organisation du FLN, et c’était dans la clandestinité. Ce fut à partir de là que la Nation algérienne commença à être une Nation moderne. Dans la démocratie moderne, c’est l’individu qui agit. Donc, de cette détribalisation devait naître l’Algérie moderne, favorisant l’émergence de l’individu de la brume médiévale.
L. : D’ailleurs, pour vous, la démocratie est faite pour une société mature qui réfléchit, qui prône la sagesse, le savoir, l’élévation et non pas un idéal pour un petit peuple avec des idées farfelues…
R. M. : Vous savez, lorsqu’on se lance dans une révolution de cette envergure comme la nôtre (le monde entier fut étonné par cette lutte de libération), vous pensez bien que c’est par une stratégie : la déclaration du 1er novembre qui a donné à l’Algérie sa physionomie moderne et scellé sa vocation au progrès par une unité, est inébranlable.
Ou encore la plateforme de la Soummam pendant les contacts secrets en 56/57… La lutte indépendantiste existe, on n’a qu’à revisiter notre patrimoine historique de Jugurtha à Abdelkader et d’Ibn Khaldoun à Tahar Djaout…
L. : En 1954, le principe de la démocratie pour mener une révolution a fonctionné uniquement avec la déclaration du 1er novembre. Comment peut-on expliquer que le FLN n’ait pas fonctionné dans la démocratie ?
R. M. : N’oubliez pas que l’Algérie a failli être supprimée de la carte géographique. Nous étions des infrahumains. Des êtres inférieurs (…)
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