Pour les papivores, les férus des livres, le bonheur de découvrir des nouveautés est vertigineux.Cependant nos livres sortent en catimini, presque à la dérobée, aurait lancé un humoriste hilare face à son public. Pourtant, nous sommes une nation qui invente la poésie et la prose romanesque sans le savoir. On touche du doigt l’intangible sans le savoir. On est ce parfait bestiaire, hommage à l’être, composé par la Bruyère sans le savoir.
Le calendrier du Festival panafricain 2009, Tlemcen, capitale de la culture islamique 2011/2012, et bientôt Constantine capitale de la culture arabe 2015, qu’indexe-t-il d’inventivité ? Que révèle-t-il en dehors de la littérature sillonnée par les Feraoun, Dib, Camus, Gide…
Quand on y songe, les promenades à Alger, dans les villes ou le désert indompté de l’Algérie, laissent le littérateur dans un émerveillement à chaque endroit, seulement rien ne se passe. Ou plutôt il se passe quelque chose sous un silence en béton, puisque la verve se rature et ravale le crissement de son qalam en visant la corbeille du coin.
Les propos des écrivains algériens sont souvent dénonciateurs, coléreux, désireux de pointer l’agitation de ce monde imparfait. Les éditeurs ne misent presque plus sur eux. Ils nous vendent de la surconsommation d’ailleurs. Des livres commandés. Des livres surfaits. Du «combien vend tel ou un tel»…
N’a-t-on pas dit que l’homme est la pire entreprise de l’homme ! Les petits hâbleurs, ces blableurs de l’instantané qui chauffent et tirent à boulet rouge, vaincus par leur propre raccourcis, comprendront-ils, enfin, la vraie révolte qui anime soi n’est guère un déversoir de surenchères par l’argument trompeur. Pensent-ils, enfin, n’en déplaise aux puissants, que la littérature, axe essentiel de la vie, réinvente cet halo inexpliqué. Halo verbal, qu’il soit orgasmique ou avorté à la tronçonneuse, la littérature se libère du conformisme et s’écarte de l’ordre établi. Elle a besoin de couler dans ses propres formes pour mettre en place l’ondée de sa teneur. Elle dénude, ose déshabiller le règne, l’ordre établi que les maîtres de lettres, les littérateurs laissent comme sceau à l’humanité. Parfois, on écrit en omettant que le verbe n’est guère conformiste, mais plutôt comme une chemise bien ajustée sur le corps d’un athlète. Écrire, c’est arguer pour illuminer l’horizon du mouvement calme ou houleux. Cette sensation emplit l’écrivain d’une douleur jouissive, car il atteint le sentiment d’y être pénétré sans cette hypothèse du pourquoi et du comment. Un écrivain sort d’un pays où il se passe quelque chose. Il écrit par flair, par intuition sa transe d’avoir tenté une immersion dans le pli et le repli du non-dit. Un écrivain a des remords. Il renverse l’assujettissement des règles établies. C’est une personne qui souffre de la vie, de l’indicible. Et comme elle souffre, elle a inventé le râle de l’encrier pour échoir en deltaplane dans l’abîme. Quelqu’un d’heureux peut-il être un écrivain de talent ? L’écrivain est une tragédie. Interrogation infinie. Il pousse vers l’absolu. Hystérique, il refuse le collage des idées reçues. Et ne se trahit point.
Il arrive qu’on soit devant sa page blanche à attendre le coup de minuit et rien ne s’annonce… La panne s’érige. On s’y subordonne. Crescendo, les spasmes du vide s’insèrent au tréfonds de l’âme. On est fatalement exclu de la matrice de la vie, égaré dans le spectre d’un horizon mortel, glacial, iceberg.
La littérature, ce goût de la dialectique avec ce plus de don de divination selon les Grecs est essentielle à la politique, à l’état d’une société, à l’errance d’un décideur. Que reste-t-il, aujourd’hui chez nous, de la littérature comme l’a désigné Voltaire «une connaissance des ouvrages de goût, une teinture d’histoire, de poésie, d’éloquence, de critique» ?
Je dépoussière ma bibliothèque pensant que certains livres marqueront ma vie. Je reprends ma délectation universelle en glissant dans les méandres de mes rêves d’antan : Le voyage au bout de la nuit, L’idiot, Cent ans de solitude…
Dans ce numéro nous avons concocté un patchwork binaire culture/économie où l’Homme surprend par sa détermination d’oser ce flirt extatique parfois même empoisonné par l’impondérable, mais il inventera à coup sûr sa suprématie… un an, dix ans, cinquante ans, un siècle, une éternité, l’homme «ce dieu terrestre» qu’il soit économiste, chef d’entreprise ou «scribouillard», c’est lui qui façonnera les traces indélébiles d’un temps. D’une halte. D’une nation. D’une civilisation…
Bonne lecture !
n.sebkhi@livrescq.com
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