Née à Constantine le 16 septembre 1948, Najia Abeer nous a quittés prématurément le 21 octobre 2005 à Alger. Ancienne professeure , elle a publié en 2003 son premier roman sur sa ville natale Constantine ou les moineaux de la murette (Ed. Barzakh ) L’Albatros ( Ed. Marsa, Alger 2004) et le dernier Bab el Kantara (Ed. Apic, 2005).
Cette trilogie se veut un regard lucide, courageux sur la société algérienne détournée de ses élites féminines et une voix véhémente contre les forces régressives.
Najia Abeer est venue à la littérature avec Constantine ou les moineaux de la murette, un roman autobiographique sur son enfance dans une souika de sa ville natale, Constantine, durant les années de la guerre de Libération. Une ville qu’elle a trop tôt quittée et dont elle reste nostalgique. C’est pour elle une profonde sensation d’un lieu natal, enracinant pour l’écriture. Cet enracinement trouve son prolongement avec son nouveau roman Bab el Kantara. Au coeur de ce deuxième volet d’une trilogie constantinoise, Najia Abeer, sous le personnage de la fougueuse adolescente Joumana, entreprend de raconter les années passées à l’école normale de Bab el Kantara. Elle ne le fait pas après coup mais dans l’instant même de son vécu, et c’est là que réside l’intérêt narratif du roman qui, sans ce temps subjectif, n’aurait été qu’un témoignage anodin, vite classé dans les archives d’un passé de lamentations. Or, tout y prend et reprend vie avec ces adolescentes qui franchissent le seuil d’un monde où la couleur des tabliers impose une hiérarchie, où le seul mérite est la réussite dans les études pour embrasser une carrière d’institutrice et, pour celles qui excellent, accéder à l’Ecole normale supérieure d’Alger.
Studieuses, effrontées ou «gloussantes», elles sont toutes venues des régions de l’Est algérien avec ses paysages contrastés et ses colères aussi tumultueuses que les eaux du Rhummel. Ce sont les jeunes normaliennes de Bab el Kantara, des adolescentes qui ont quitté pour la première fois le giron familial pour l’internat, dans l’éveil fulgurant de l’amour platonique et charnel. Joumana raconte et décrit avec passion et minutie, avec quelques touches de nostalgie et désenchantement, dans un présent souverain, en ces premières années euphoriques de l’indépendance, la vie quotidienne et culturelle de cette prestigieuse école normale. Avec ses règlements stricts, ses professeurs brillants, exigeants mais humbles et affables, son personnel mu par la rectitude et le sens du devoir accompli, mais aussi et surtout les lieux intimes de ces adolescentes fringantes, boudeuseset exquises: le dortoir où les lits superposés se font et se défont selon les appartenances régionales ou les affinités intellectuelles. Les filles avec un brin de coquetterie, s’entraident, se toisent, se jalousent mais s’échinent, toutes, au labeur des études. Sous le regard mordant de Joumana, l’internat de ces jeunes filles, malgré une discipline de fer, apparait comme un lieu d’épanouissement où les livres des grands classiques de la littérature universelle s’arrachent, se lisent sous les couvertures, à la lumière d’une torche, après l’extinction des lumières et, en classe, les normaliennes s’évertuent dans une saine émulation de connaissances accentuées par des éclats de charme. Mais si Joumana a la chance d’avoir un père instituteur à son écoute, elle n’a pas cependant la quiétude familiale. Sa marâtre acariâtre, rétrécit ses espaces dans la maison paternelle où les échanges, n’eut été sa grand-mère paternelle, n’auraient été que colères, disputes et claquements de portes. Beaucoup d’autres adolescentes comme elle, pour qui l’internat est un refuge, une bouffée d’oxygène, une « libération » des yeux inquisiteurs du « douar », vivent, quand elles retournent chez elles lors des vacances scolaires, le calvaire d’un milieu familial lui-même bousculé par les bouleversements socio-économiques brutaux des premières années de l’indépendance. La tendance au repli sur soi, la disparition soudaine de nombreux quartiers cosmopolites et surtout la perte brutale d’un mode de vie aéré, ouvert sur l’extérieur, sur la rue, avec ses échoppes, ses cinémas, ses odeurs, ses loisirs, ses saisons, ont emmuré la cité. Joumana flaire une catastrophe annoncée au sein même de l’Ecole normale. Sans en faire un réquisitoire qui n’aurait servi au demeurant qu’à une vaine déploration d’un passé révolu, c’est par l’observation des changements qui s’opèrent dans l’attitude relâchée des nouveaux enseignants, le départ des professeurs qui ont fait nid et carrière dans la cité, les chamboulements inexpliqués introduits dans les programmes, l’ennui ambiant dans les classes, que la narratrice voit s’opérer, graduellement, irrémédiablement, la chute de cet univers de la pédagogie, les langues, la musique, l’ordre, la discipline, la rigueur dans les études, la fierté de la conquête des savoirs et des libertés de pensée tombent en désuétude et deviennent même des attitudes dangereusement suspectes. Mais les filles ne baissent pas les bras. Elles savent que c’est leur dernière chance pour arracher le prix de leur liberté. Pour Jamama, l’amour est venu compenser cette brume qui voile une indépendance fraîchement acquise; un amour ardent, né sur une plage un soir de fugue de l’école normale; cette idylle est pour elle un autre défi au nouvel ordre établi. Joumana refuse une demande en mariage hors des règles traditionnelles et décide d’imposer la présence de son jeune compagnon d’abord à ses camarades normaliennes puis à sa famille. Belle scène que celle où, en route vers Alger, par train, elle fixe le regard de son père, un père qui lui aussi a des confidences à faire : il lui avoue rêver d’une autre vie que celle qu’il subit avec son épouse qui n’aime pas.
Joumana a eu son baccalauréat et s’apprête à franchir le portail de l’Ecole normale supérieure de la capitale, loin de la ville du Rocher qui a bercé son enfance.
Plus qu’une simple autobiographie, ce roman se veut un regard moderne sur l’émergence d’une élite féminine au lendemain de l’indépendance de l’Algérie.




Une Réponse pour cet article
Savez-vous si les 3 livres de Najia Abeer seront réédités prochainement ?
On ne les trouve plus ni en France ni en Algérie !!
c’est vraiment regrettable, son style étant si prenant !
merci
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