J’étais un enfant sauvage, un bagarreur hors pair. Je revenais tous les jours à la maison le nez en sang, la gandoura déchirée. Malgré les sévères remontrances de mon père, je recommençais le lendemain à me bagarrer pour des futilités –Ce garçon, disait Grand-mère, est une tornade. Il ne tient jamais en place ! Je voulais être le plus fort des camarades de mon âge et, assurément, j’ai réussi. Tous vaincus par mes poings durs comme fer, m’obéissaient. J’avais, tout de même, une qualité, je ne manquais jamais la classe. Par tous les temps, j’allais à l’école du village, le ventre creux et habillé d’une gandoura, seul habit de toute l’année. Je ne me plaignais jamais de mon sort. L’école de Tala Bouali, appelée ainsi à cause de la proximité de la fontaine du village du même nom, ne possédait qu’une classe qui recevait une cinquantaine d’élèves. Les filles n’étaient pas admises. Ce qu’on appelle la classe unique regroupait dans le même local des élèves du cours préparatoire au cours moyen 2ème année. Les maîtres d’autrefois étaient semblables à des chefs d’orchestre. Je rends hommage à leur virtuosité. Mon camarade de table était Lamrani Hacène, futur directeur de Budget de l’Algérie indépendante. Plus jeune que moi de deux ans, il avait une mémoire phénoménale, capable de réciter un texte après l’avoir lu une seule fois. C’était un adversaire redoutable. Nous nous battions pour la première place. Moi, j’avais la ténacité pour arme et, lui, la mémoire. En classe, j’apprenais sous la férule de Monsieur Cherfi, maître très sévère usant souvent de la baguette, le calcul, les sciences, la géographie, l’histoire, dans une langue qui n’était pas la mienne. J’ingurgitais tout. J’avais la boulimie du savoir. C’est ainsi que j’appris par cœur une trentaine de résumés de géographie et autant en histoire d’un pays que je ne connaissais que de nom. L’histoire me passionnait à cause de ses légendes. Je connaissais tous les rois de France, les fainéants, les bons, les grands qui brillaient par leur grandeur, et même les malins comme Louis XI. J’admirais Vercingétorix, le géant gaulois qui libéra la France des Romains, j’admirais Jeanne d’Arc, une bergère de Lorraine, qui chassa les Anglais d’Orléans –La pauvre fille fut brûlée vive après un revers de l’histoire et j’étais sidéré par les exploits guerriers de Napoléon Bonaparte. La Révolution française de 1789 éveilla en moi des sentiments confus. Je compatissais pour les serfs– des paysans soumis à un régime dégradant et j’applaudissais aux paroles audacieuses de Mirabeau qui dit au roi Louis XVI : «Nous sommes ici par la volonté du peuple et nous ne sortirons de là que par la force des baïonnettes». La mort de Robespierre, le révolutionnaire incorruptible, me fit verser une larme. En géographie, j’appris que la Terre était vaste. Aucun continent n’avait plus de secret pour moi. De la France physique, économique, je connaissais tout. Je pouvais dessiner, les yeux fermés, le cours de la Seine, de la Loire… Mais de mon pays, l’Algérie, je connaissais peu de choses en histoire comme en géographie. Ne croyez pas que je passais tout mon temps à l’école. J’étais aussi berger d’un mouton, le mouton sacré de l’Aïd. Cette besogne occupait mes jeudis et dimanches –jours où on n’avait pas classe. Être berger a ses agréments. Ah ! les champs et toutes ses rêveries quand on est seul ! L’indulgente nature m’avait accordé le plus cher de ses dons : le don des rêves. Pendant qu’assis sur une roche, je contemplais le majestueux Djurdjura dont le sommet était couronné de neige. (À suivre).
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