Téric Boucebci
Médecin de formation, poète, il est né en 1967 à Nice. Il est l’auteur de Les Vents bleus (Enag, Alger, 2009) et Ayesha (Dalimen, Alger, 2009). En 2003, il crée la revue de poésie 12×2, Poésie contemporaine des deux rives. Il est atuellement membre du conseil de rédaction de la revue Phoenix.
Tantonville1 est un peu comme un bateau échoué. Tous les stigmates de son lustre passé sont là. Un lieu connu, un nom, des histoires. Fermé le soir. Dommage. La ville renaît. Bientôt, comme à Cracovie, la Casbah sera rebâtie. Elle tombe. S’effondre. Mais depuis dix siècles elle tient. Raz de marée, tremblements de terre, invasions.
Et Tantonville accueillera les voyageurs pour un thé, un café. Les musiciens sortis du TNA joueront à minuit. Les échoppes de vendeurs de kawkaw2 devenus postes avancés des changeurs du square Bresson nourriront le public sorti aux heures tardives. Assis sur le front de mer. Échangeant impressions sur le spectacle, bercé par la douceur de la nuit d’été. L’hiver, les parapluies fleuriront. Un champ d’ombrelles qui verra les passants insouciants, trempés, passer à grandes enjambées. Effleurant du regard les conversations. Et parfois observer ce vaisseau. S’interrogeant intérieurement sur cette renaissance qui se fait attendre. Les pièces se succèdent. Cervantès, pensionnaire malgré lui des grottes et des geôles d’Alger, est l’invité du matin. Lire Don Quichotte, face à la baie. Incongru.
Nous, Sancho passager, prendrions un thé à Tantonville. Seul ou accompagné des quelques spectateurs égarés, épandus sur sa terrasse après spectacle. Tout le monde est tellement pressé de rentrer que lire sur ce banc, comme un appel au lever, donne un sentiment étrange d’intemporalité. Ce bord de mer interminable est fascinant. Les amants croisent les regards sans se toucher. Les étoiles se retirent peu à peu. Le ciel bleu-noir s’éclaire. Les moulins à vent tournent. Les portes de la Casbah sont toujours ouvertes dorénavant. Les cinq. Comme prêtes à happer celles et ceux qui se hasarderaient à ses entrées. Et de terrasse en terrasse, laisser le regard descendre vers la mer. Là, juste en bas, quelqu’un assis sur un banc.
Un livre dans une main, un thé posé devant lui. Les premières lueurs se posent sur les patios. Éveillent. Les portes s’ouvrent. On sort, on descend. On monte. On discute. Sidi Abderrahmane1 reçoit ses premières visites. Repère au milieu du naufrage de l’armada envoyée par Charles Quint. L’île aux mouettes devenue cité s’anime avant le jour. Malgré lui, le vaisseau est mis à flot. Les musiciens ont cessé de jouer. On distingue au loin un désir sur le point de naître. Sur le banc, Sancho sirote son thé et sourit aux oiseaux qui coupent l’horizon. Dans le soleil naissant, des ombres paisibles s’avancent, celles de nos coeurs fermés oubliés par la brise de mai et la tempête de juin qui les a emmenés. (…)
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