Daniel Maximin
Né à la Guadeloupe en 1947, il est poète, romancier et essayiste. Il est l’auteur, entre autres, de L’île et une nuit (roman, Le Seuil, 1996), Tu, c’est l’enfance (récit, Gallimard, 2004), Les fruits du cyclone, une géopoétique de la caraïbe (essai, Seuil, 2007), L’invention des Desirades (poésie, Seuil, 2009).
On vit on meurt poète au-dessus de la mort au-delà de la vie
embarqué dans tous les déluges on désaltère les fontaines
dans le désert seul voué à la noria
dévoué au rêve quand le soleil aveugle
on vit on meurt de récuser les maîtres les monstres les meurtres
les murs et les armures
car au-dessus des gibets des croix et des statues
au-dessus des micros des codes et des prières
quand les dieux n’ont pas l’oeil sur leurs écritures
il y a la floraison des paroles de pollen de sang de sève et
de sisal
les flèches de lumière avisant les souterrains d’espoir
imaginant l’avenir d’une et mille nuits pour éclairer le jour
on vit on meurt alors c’est vrai d’attiser les alarmes
au son de l’oud et du violon
au rythme du tambour et des guitares
on ne rend pas les armes de la plume et l’archet
on vit et meurt poète en avant de l’action
on vit on meurt de viser l’injustice avec une page de journal :
le Drum de Soweto, le Crisis de Harlem, les Feuilles de Tarussa,
le Ruptures d’Alger, tous les J’accuse pour réveiller l’aurore
la page en sentinelle relève les mots de passe adossés à
l’avenir
on emmêle les noms propres oubliés ou récents connus
ou fraternels
car le sang d’écrivain ne sèche pas mué en écriture
et de la terre obscure elle remonte de leurs voix de cadavres
encerclés
chaque poète face aux murs anonyme poseur de graffiti
on vit on meurt Tahar Djaout de désigner son nom au
livre ouvert aux yeux des assassins
on meurt on vit Tahar d’abriter deux enfants, la justice et
l’amour
on meurt Tahar poudre d’intelligence à l’épreuve des
couvre-feux
on meurt Tahar vigie expropriée au Parc des libertés
(contre un seul mot on lui a tout promis, contre un seul mot
on aurait tout permis : il a dit merde dans un sourire d’enfant
évadé trop tard pour reculer)
et son crâne évidé a recueilli l’offrande de funérailles
solaires
le visage barbelé d’épines de rosiers
la mort a visé l’oeil et raté la vision
la mort a visé l’os et raté les neurones
le coeur s’est préservé en lion et en gazelle
la mort a tué la bouche sans toucher la parole
la mort n’a pas su tuer le temps de la mémoire vive
Tahar et son sourire protégé de moustache
un grain de sable dans son poing refermé
vers une dernière goutte d’eau perlée de son oeil vif
pour préserver des balles un germe d’oasis.
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