Par la force des mots et de l’écriture, il ait des lieux qui se hissent au rang du mythe. Ainsi en est-il de Tipasa et de Djemila sous la plume de Camus qui témoigne de sa présence au monde dans une étroite parenté avec Nietzsche et Hölderlin.
Mais d’abord, le nom de Camus ne laisse pas indifférent ; un juste parmi les justes qui, néanmoins, fit un pied de nez à la justice. C’est toute l’ambiguïté d’un homme qui de par ses positions se transforme en une énigme :
Le Camus auteur des Lettres à un ami allemand dont l’humanisme est chevillé à la justice, la seule valeur par qui advient la grandeur d’une nation.
Le Camus de Misère en Kabylie, le journaliste d’Alger Républicain qui réclame «l’égalité des droits pour les deux peuples d’Algérie» à l’instar de Ferhat Abbas d’une part et de Messali Hadj d’autre part que l’on peut considérer comme les tenants de deux options opposées du nationalisme algérien. Ce Camus incar¬nant L’homme révolté, il est la mauvaise conscience des artisans de l’apartheid ethnique, religieux et social en période coloniale, il est un traître pour l’extrême droite ayant tribune dans Echo d’Alger, et qui aurait songé un moment à sa liquidation physique. (George- Marc Benamou, Un mensonge français,Laffond, 2003)
Le Camus en querelle et rupture avec Sartre et le Parti Communiste auquel il reprochait de ne pas prendre de distance avec le stalinisme.
Le Camus qui, a cependant, aveuglément réfuté l’idée de l’indépendance de l’Algérie, celui qui s’est montré suspicieux à l’égard du FLN lorsque des civils sont pris pour cible, celui qui, de part sa mythologie personnelle ne pouvait concevoir une séparation de l’Algérie d’avec la France, ainsi est-il devenu cette fois- ci le traitre de la nation algérienne revendiquant son autonomie.
Il y a le Camus peut-être revenu de son erreur d’appréciation politique pour regagner ce qui ne l’a jamais quitté, son autochtonie algérienne. C’est le Camus du Le Premier Homme, roman inachevé, où dans les annexes, il scande cette prière : «Rendez la terre, la terre qui n’est à personne. Rendez la terre qui n’est ni à vendre ni à acheter (…) Rendez la terre. Donnez toute la terre aux pauvres (…) à l’immense troupe des misérables, la plupart arabes, et quelques uns français et qui vivent ou survivent ici par obstination et endurance (…) donnez leur (…) et moi alors, pauvre à nouveau et enfin, jeté dans le pire exil à la pointe du monde, je sourirai et mourrai content, sachant que sont enfin réunis sous le soleil de ma naissance la terre que j’ai tant aimée et ceux et celles que j’ai révérés. Il y a le Camus peut-être revenu de son erreur d’appréciation politique pour regagner ce qui ne l’a jamais quitté, son autochtonie algérienne. C’est le Camus du Le Premier Homme, roman inachevé, où dans les annexes, il scande cette prière : «Rendez la terre, la terre qui n’est à personne. Rendez la terre qui n’est ni à vendre ni à acheter (…) Rendez la terre. Donnez toute la terre aux pauvres (…) à l’immense troupe des misérables, la plupart arabes, et quelques uns français et qui vivent ou survivent ici par obstination et endurance (…) donnez leur (…) et moi alors, pauvre à nouveau et enfin, jeté dans le pire exil à la pointe du monde, je sourirai et mourrai content, sachant que sont enfin réunis sous le soleil de ma naissance la terre que j’ai tant aimée et ceux et celles que j’ai révérés.
(Alors le grand anonymat deviendra fécond et me recouvrira aussi- je reviendrai dans ce pays.)»
Appel déguisé à l’indépendance de l’Algérie ? Certainement amour du pays qui se dit à partir d’une situation d’exil.
Aujourd’hui, la présence de Camus en Algérie, dans le secteur universitaire, se situe plutôt en marge des lectures politiques ou idéologiques cependant jamais abandonnées. Elles furent incontournables un certain temps en la conjoncture de construction de la culture nationale qui reste toujours à édifier.
La présence de Camus relevée dans le jeu d’intertextualité avec la littérature de quelques écrivains algériens, se renforce avec les écrits par exemple de Abdelkader Djemaï, Maïssa Bey, Hamid Grine et encore tout récemment Salim Bachi Le dernier été d’un jeune homme ou sous une forme de questionnement critique avec le roman en ligne de Salah Guermiche Aujourd’hui Meursault est mort qu’aucun éditeur en France n’a accepté de publier, celui de Kamel Daoud (…) publié chez Barzakh et bizarrement introuvable dans les librairies algéroises.
Au milieu d’un débat sur Camus qui ne fera jamais consensus tant l’écrivain et l’homme public s’entremêlent et s’opposent, quelques espaces sont préservés.
Ce qui nous intéresse plus précisément, c’est le Camus de «la pensée de midi» qui se dévoile dans Noces à Tipasa et son autre versant, LeVent à Djemila. Mais auparavant notons que l’ensemble de la production littéraire de cet écrivain produit son sens à partir des lieux géographiques et/ou mythiquesdans lesquels elle s’enracine. Ces lieux se rassemblent en une matrice, la mer(e) Méditerranée, avec quelques incursions dans les villes des hauts plateaux à l’instar de Djemila ou du désert comme c’est le cas pour la nouvelle, La femme adultère. La dimension sémantique de La Peste et Le Minotaure est largement déterminée par la représentation de la ville d’Oran. Noces, l’Eté, n’auraient pas eu le retentissement qu’on leur reconnait s’il n’y avait Tipasa, Djemila, Alger. Les lieux sont recréés en une oeuvre d’art à l’adresse de l’homme invité à saisir la pleine dimension de son existence. Ainsi les lieux parlent. Les lieux énoncent des discours. Les lieux exercent leur pouvoir mythifiant. L’écrivain est à l’écoute de ces lieux jusqu’à s’y identifier. C’est par cette osmose que Camus témoigne de son être existentiel.
La glose sur Tipasa, mythe fondateur de l’oeuvre de Camus, est abondante pour dire l’ivresse jouissive qui se produit quand le corps se fond et se confond avec la nature. Parfaite harmonie que cette fusion dionysiaque qui s’origine dans l’amour de la terre en permanence rappelé par ailleurs, comme dans l’épigraphe de L’Homme révolté, empruntée à Hölderlin : «Et ouvertement je vouai mon coeur à cette terre grave et souffrante, et souvent, dans la nuit sacrée, je lui promis de l’aimer fidèlement jusqu’à la mort, sans peur, avec son lourd fardeau de fatalité, et de ne mépriser aucune de ses énigmes. Ainsi je me liai à elle d’un lien mortel.»
La force d’attachement à cette terre ne peut se concevoir que dans la négation d’un monde de l’ailleurs et de la vie dans l’éternité. C’est que Camus est un homme de foi sans religion. Foi en l’homme, foi en la terre qui le porte car «il ne plaît pas (à Camus) de croire que la mort ouvre sur une autre vie». Ainsi pourrions nous parler de «béatitude terrestre» qui comble le Camus en extase, au contact de la mer et du soleil à Tipasa.
Noces est une ode de tous les instants dédiée à la vie ici et maintenant et qu’il convient d’embrasser dans sa totalité à la fois lumineuse et obscure, selon l’unité existentielle en ses deux versants : la vie et la mort. Telle est la leçon de Camus qui s’inscrit précisément dans le déplacement de Tipasa vers Djemila. De la mer à Tipasa à la pierre dans Djemila c’est finalement l’écriture d’un dyptique, l’envers et l’endroit d’un même récit, celui d’expliquer ce qu’est la vie. Si Tipasa est une naissance au monde par fusion dans la nature et qu’elle prédispose à l’hédonisme, Djemila, ville de ruines habitée par le vent, dit la présence de la mort laquelle rappelle précisément que la vie est. Si dans Tipasa le bonheur de vivre dans l’exaltation a quelque chose de donjuanesque, dans Djemila de pierres et de silence, la mort signifiée est la preuve qu’on est vivant. Ainsi le récit de Vent à Djemila ne contredit pas celui de Tipasa mais le conforte et le justifie. La version vulgarisée de l’existentiel camusien nous la retrouvons dans la morale populaire du terroir, épurée de toute connotation matérialiste, et qui dit : «vit ! La finalité est de mort» ou encore «vivre comme si la vie était éternelle, la vivre en sachant qu’elle est aussi fugace». Dans l’une et l’autre expression nous retrouvons la dialectique des contraires pour toucher au parfait équilibre. De fait, Camus dans Djemila témoigne de l’existence de «quelque chose comme l’équilibre d’une balance»(…)
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