« […] Il portait une cravate et un canotier presque neuf dont l’inclinaison cavalière donnait à son visage tranquille un air inquiétant. Il n’avait pas l’air d’un vagabond professionnel en costume professionnel, mais il y avait en lui quelque chose de déraciné, comme s’il n’appartenait à aucune ville, comme s’il n’y avait pas une rue, pas un mur, par un pouce de terrain où il aurait pu se dire chez lui. Et comme s’il portait sans cesse avec lui tout ce qu’il savait, ainsi qu’on porte une bannière, avec quelque chose de cruel, de solitaire, de hautain. […] il n’y avait personne dans le hangar qui n’observât l’étranger, avec ses vêtements sales de citadin, son visage sombre, intolérable, et son air de mépris tranquille et froid. » Toute l’entrée en scène du protagoniste de Lumière d’août de William Faulkner, au chapitre 2, éclaire d’une étrange ressemblance l’entrée en scène, certes moins sombre, moins tragique, de Meursault. Cet étranger-là, dans l’univers du Sud des États-Unis, se nomme «Christmas», nom insolite, que «pas un blanc» ne porterait et l’un de ceux qui l’observent, réalise –et l’on songe aux interprétations du nom de Meursault et des autres nominations ou absence de nomination chez Camus–, «Byron comprend que le nom d’un homme, considéré en général comme simple interprétation sonore de qui il est, peut-être, en quelque sorte, un présage de ce qu’il fera, si on peut en lire à temps la signification. Il lui sembla qu’avant d’avoir entendu son nom aucun des ouvriers n’avait prêté grande attention à l’étranger […] (ce nom) comme si l’homme portait avec lui un avertissement inséparable, comme une fleur son parfum ou un crotale le bruissement de sa queue. Mais personne ne pouvait en déchiffrer le sens. Ils pensaient simplement qu’il était étranger.» «Christmas», «Meursault» qui, d’après Camus, serait, peut-être, «le seul Christ que nous méritions.»
Rencontre, croisement, réminiscence ? L’appréciation de Dominique Rabaté dans le Dictionnaire Camus peut éclairer Meursault et Christmas : «C’est cette part capitale du jeu volontaire qui est entièrement évacuée du roman nouveau. Meursault, lui, ne joue plus, ne sait pas ou ne veut pas jouer la comédie sociale, et c’est cette attitude énigmatique et passive qui détermine son exclusion ; c’est elle qui fera de lui une sorte de bouc émissaire.»
On a beaucoup écrit sur l’influence du roman américain à propos de l’écriture de L’Etranger, on a approché l’admiration que Camus a manifestée pour W. Faulkner, et réciproquement. Dès 1957 –à la faveur, bien sûr, de l’adaptation que fait Camus de Requiem pour une nonne, mais pas seulement–, des études ont été proposées sur le rapprochement Faulkner/Camus. Aux États-Unis plus encore, on s’est intéressé à ces «affinités» que ce soit R. Lehan, John Ph. Couche ou Kay Killingworth qui inscrit en tête de son article : «L’Algérie c’est notre Louisiane/ c’est l’âme dans la chaleur».
Alfred Kazin, dans son étude sur Lumière d’août, rend compte de l’attrait que les écrivains du Sud américain ont exercé sur Camus : «Albert Camus, faisant l’éloge des écrivains du Sud, fit un jour remarquer à l’un de ses amis que ce qu’il aimait dans leurs livres, c’était «la poussière et la chaleur». Et, pour l’homme de l’Afrique du Nord, et de ses souvenirs du monde éblouissant de Noces, ce monde où Paris ne peut jamais entrer, le sens de la couleur locale propre à Faulkner devait être particulièrement émouvant.»
Dans un entretien de 1945, Camus a déclaré, sans hésiter, utiliser la même technique romanesque que Faulkner et Steinbeck. Pour lui, citant volontiers Sanctuaire et Pylône, Faulkner était «le plus grand écrivain occidental.» On sait, par ailleurs, qu’il a lu quasiment tous les romans traduits en français à partir de 1935 et édités par Gallimard (…)
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