Clientélisme et patronage dans l’Algérie contemporaine, Paris Karthala, Aix-en-Provence
Doit-on encore aujourd’hui présenter Mohammed Hachemaoui (MH) ? Ce jeune chercheur algérien, fécond et innovant, s’est fait connaître entre autres par son Y a-t-il des tribus dans l’urne ? Sociologie d’une énigme électorale1 – c’est la première étude que l’auteur de ces lignes ait lue de lui – et par La corruption politique en Algérie : L’envers de l’autoritarisme2.
Politologue de formation, ses travaux le révèlent sociologue, anthropologue et historien de l’Algérie contemporaine et renvoient à tout un passé antérieur où l’on discerne les prolégomènes de ses analyses. MH a fait ses études secondaires et supérieures en Algérie (Alger, Oran), mais il a multiplié, à partir du début du XIXe siècle, les allers-retours entre les deux rives de la Méditerranée et a travaillé, à titre provisoire et précaire (professeur associé, professeur invité…), dans plusieurs universités françaises, à l’EHESS. Il a soutenu sa thèse en 2004 à l’IEP de Paris sur le clientélisme et la corruption dans le système politique algérien et a obtenu, de novembre 2012 à mai 2013, une bourse de «Research Fellow à la Stiftung Wißenschaft und Politik à Berlin qui a facilité ses recherches. D’une culture étendue, aux antipodes de tout bornage officiel – individuel, familial, social, politique… –, il maîtrise l’arabe, le français, l’anglais et il a recours ici et là dans son texte à quelques formules en latin. Son engagement et sa stature intellectuels sont nourris d’analyses libres sans concession qui ont fait de lui le collaborateur d’Omar Belhouchet, le directeur d’El Watan, à l’organisation des débats du journal, même s’ils ont été, un temps, interdits en novembre 2013. Ces débats sont, pour le système algérien, une sorte de soupape de sécurité permettant, sur nombre de sujets, des échanges libres à même de décompresser pour une élite de la langue de bois normée du pouvoir, lui permettant dialectiquement de survivre… quousque tandem3 ? MH est un chercheur sans concession, à la fois calme et mesuré, mais aussi passionné pour ses recherches qui révèlent au public les fondements sociopolitiques et idéologiques de l’Algérie – je l’ai fait inviter le 5 juin 2013 à Lyon, il y a été longuement applaudi par un auditoire enthousiaste.
Son livre est issu d’un travail de recherche méthodique sur le terrain. Dans la wilaya de Tébessa, proche de la frontière tunisienne, et dans la wilaya d’Adrar, au sud du grand erg occidental, à près de 900 km au sud d’Oran. Il a enquêté dans celle-ci parce qu’elle est réputée pour le réseau de ses confréries maraboutiques et le rayonnement de leurs zâwiyas – terme qu’il n’hésite pas à traduire par «loges». L’entrecroisement des adulations et des énonciations identitaires est l’un des paramètres fondateurs de l’organisation sociopolitique de l’Algérie. Et il a choisi celle-là parce que les soubassements structurels d’appartenance clano-tribale lui y paraissaient exemplaires pour sa recherche. Bien sûr, existent maints entrecroisements de ces deux variables dans la même région et d’un terroir à l’autre et il faut le lire avec attention pour parvenir à prendre en compte toute la richesse de ce livre. Le lecteur y est éclairé sur des sujets pour lui parfois complexes, entre autres par des annexes soignées, ce qui n’est pas toujours le cas pour tous les livres qui paraissent. Bienvenus sont l’index des noms propres, le glossaire des mots arabes, la liste des abréviations, la bibliographie nourrie, rangée par ordre alphabétique, le système de translittération simplifié de bon aloi…
Mais le lecteur, maintes fois abasourdi, est parfois quelque peu désorienté par les intrications dans lesquelles MH vole avec l’aisance d’un aigle dans l’azur.
Il parvient toutefois à suivre le raisonnement subtil de l’auteur, même s’il peut ici et là peiner à saisir tout d’un temps ses propos. Ce livre ne se lit pas comme un livre d’histoire traditionnel, et, on l’aura compris, il se situe à plusieurs degrés au-dessus de ce degré 1 – d’aucuns diraient degré 0 –, celui du positivisme originel, tant sa problématisation est finement profonde.(…)
Gilbert Meynier
Suite de l’article dans la version papier
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