L’ivrEscQ : Vous étiez au cœur de plusieurs maisons d’éditions algériennes, Anep, Alpha, Dalimen, et aujourd’hui, vous fondez les éditions El Ibriz qui présente un catalogue d’une chevronnée, d’une éditrice passionnée de ses auteurs, de ses publications. Comment se fait le choix de vos auteurs qui sont parfois connus par leur parcours ? Quels sont vos critères pour publier un ouvrage ?
Samira Bendris : Mon choix est surtout dicté par les «coups de cœur» –sans vouloir copier les propos d’un collègue éditeur–, mais c’est vraiment selon le message que véhicule le manuscrit que l’auteur a tenu à me confier car je crois qu’on doit sortir avec quelque chose d’une lecture… Mon critère de «sélection» n’est pas du tout «un nom connu», ce serait dénigrer l’effort ou le talent de ceux qui cherchent et méritent de se faire connaître aussi car on ne nait pas «connu» on le devient.
L. : Vous avez de l’enthousiasme pour votre travail, du «pep», un acharnement sans faille pour une besogne pas facile, aussi, on soupçonne, parfois, de la colère dans vos propos, qu’est ce qui agace une éditrice animée par la passion de livres ? Et comment se porte le livre, le vôtre d’une façon spécifique ?
S. B. : En effet, le livre est ma passion, et l’édition est ma volonté acharnée de montrer que de belles choses existent et continueront d’exister aussi longtemps que nous continuerons de respirer sur cette belle terre qui, hélas devient de plus en plus polluée par les âmes malveillantes et les intérêts cupides et insatiables de l’Homme… Notre tâche n’est certes pas facile mais ce qui la complique davantage c’est «l’inculture» et «l’irresponsabilité» de certains maillons – pour ne pas dire beaucoup –dont on dépend dans notre chaîne du livre car c’est une chaîne qui doit être solidaire et solide sinon on ne peut pas aller loin dans notre noble mission… Oui ma colère peut se ressentir dans beaucoup de mes propos car je ne joue pas à l’hypocrite qui dit que tout va bien lorsque rien ne va… Je suis écœurée de voir que rares sont les personnes qui font leur travail consciencieusement et en tout «professionnalisme» sans «copinage» ou attente de retour d’ascenseur ; je suis révoltée par cette ignoble image qu’on a donnée de l’éditeur qui devient le «beznassi» par excellence et on perd ainsi toute crédibilité aux yeux de nos auteurs dont certains hélas sont eux-mêmes tombés dans ce panneau et le deviennent sur commande… Il faut dire que l’argent rend les gens malades. Pour moi, le livre va mal et la lecture va encore plus mal. Mais on ne fait rien pour changer cet amer constat. On se plaint, on dénonce, on propose, mais rien n’est fait pendant que certains se rangent et d’autres dérangent encore jusqu’à épuisement !
L. : À l’ère du web, des réseaux sociaux, des livres numériques, quelle est votre plus grosse crainte devant cette recrudescence de la technologie qui risque de noyer le papier au dépens du numérique en plus du constat amer que vous faites?
S. B. : Vous savez c’est un leurre de penser que nous perdons des lecteurs pour cause la technologie et internet. D’abord il n’y a qu’à voir d’autres pays où la technologie est plus développée, le livre se maintient parfaitement bien… À mon sens, c’est tout simplement une histoire de culture et d’enseignement de l’amour de la lecture à l’école. Vous pensez vraiment
que tout le monde possède de l’internet chez lui ou un ordinateur à portée de main ? Vous savez, vous êtes bien loin du compte car la capitale Alger, ou certaines grandes villes, sont bien loin de représenter toute l’Algérie et les autres «patelins» qui se contenteraient d’avoir des livres au lieu de rien sont bien majoritaires ! Mais même le livre ne leur arrive pas, ou s’il arrive dans leur nouvelle bibliothèque richement construite, ils ne le savent pas car celle-ci est fermée et reste déserte.
L. : Si je vous demande le coup de cœur des éditions El Ibriz, vous me répondriez, immanquablement, je ne peux pas faire le choix de mes «naissances», néanmoins, quel serait le coup de cœur de votre catalogue ?
S. B. : Vous savez, tout mon catalogue de 23 titres en 3 ans est fait de coup de cœur, sinon ils n’auraient pas existé, mais celui qui me représente le plus c’est Femme, ici ou ailleurs, un livre qui donne la liberté à la femme de dire ses maux avec ses mots sans censure et sans tabou.
L. : Ailleurs on travaille avec un attaché de presse pour bien promouvoir, comment faites-vous la promotion de vos ouvrages ?
S. B. : Vous savez, en ce moment, à peine si j’arrive à payer mon infographiste et mon imprimeur, et je ne suis pas payée moi-même, alors un attaché de presse… Et puis, pour le peu que la presse fait pour la culture en ce moment… Je fais moi-même le dispatching du service presse et j’en suis très souvent déçue, mais je n’omettrai pas de remercier ici les «professionnels» d’entre eux !
L. : Je ne vous apprends rien en vous disant que le livre est en crise, et cela depuis des années, sans ouvrir le sempiternel débat sur le pourquoi ; comment prévoir la pérennité de votre travail, et comment éviter
le risque pour l’avenir de votre profession ?
S. B. : En ce moment, sincèrement, le climat me semble trop tendu, trop «indifférent» au devenir du livre donc… à suivre la main sur le cœur !
L. : Un mot sur le roman algérien ?
S. B. : Selon les libraires, le livre ne se vend pas ! Du moins, en ce qui concerne mes romans, il semblerait que le lecteur algérien préfère ce qui vient de «l’étranger» d’où les étalages des librairies qui en regorgent… Ceux qui ont la chance d’étaler leurs produits eux-mêmes n’ont pas ce problème !
L. : Un mot sur l’événement où la ville des ponts, Constantine, Cirta, accueille le monde arabe ?
S. B. : J’espère que l’évènement sera à la hauteur des attentes des uns et des autres, et du budget alloué surtout, pour le bien de notre pays ! Puisque l’évènement est, concrètement, que chacun y mette du sien en toute âme et conscience en dépassant les querelles stériles et les intérêts égoïstes. La conscience professionnelle fera toute la différence.
L. : Votre sentiment sur le lancement du prix littéraire au prochain Sila Assia Djebar…
S. B. : Il y’en a deux maintenant, celui de Assia Djebar initié par l’Anep et celui du Sila initié par son Commissariat… Qui dit mieux ?! Longue vie et à beaucoup d’autres !
L. : Que préparent les éditions El Ibriz pour le 20ème Sila ?
S. B. : Je viens de publier un nouvel essai Devoir de mémoire d’une petite fille à sa famille et un texte de théâtre en arabe Arlequin, suivi de Echatrendj, mais je ne suis plus en mesure de publier d’autres titres car la distribution et la commercialisation sont un handicap majeur.
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