L’ivrEscQ : Vous avez publié récemment votre sixième roman Yoko et les gens du Barzakh, Chihab éditions, Alger 2016. Pourquoi tant de questionnements sur l’amour et le deuil ? Autrement dit, que cherchez-vous ?
Djamel Mati : L’amour et le deuil sont franchement antinomiques, mais demeurent incontournables pour nous. Ils accompagnent fatalement le parcours de l’existence de chaque être. Nous cherchons à courtiser le premier et appelons de tous nos voeux à ne jamais rencontrer le second. Ainsi sont nos extravagantes aspirations naïves. Ainsi sont nos folles espérances. Yoko et les gens du Barzakh raconte l’histoire de trois familles, que rien ne rapprochait et qui voient, impuissantes, leur destin se croiser. Elles se retrouvent à partager un même drame, sans fin, qui les oblige à vivre dans une sorte d’entre-deux mondes. Pour certains, il est intemporel. Pour les autres, il se présente en questionnements éprouvants. Pour tous, ce Barzakh n’est que douleur et retenue, provoqué par autant d’amour tendre, possessif, contrarié et fou et qui taraude les esprits. Ces fortes émotions ne pouvaient que poser des questions existentielles, philosophiques et parfois métaphysiques. Tous les personnages essayent, consciemment ou non, de se reconstruire à partir d’un deuil inexpliqué. Cette douleur et cette déréliction qui les annihile, chacun les subit, les vit et tente de les exorciser avec ses forces et ses faiblesses. La trame du roman expose aussi d’autres problématiques, malheureusement d’actualité : la douleur causée par la perte d’une personne chère, les tragédies vécues par les harragas, le regard réprobateur de « l’autre » (racisme latent), l’amour fou et incommensurable des parents, la quête de « comprendre » afin d’accepter le sort (Makioussa), le remords déchirant et aliéné (d’un commissaire de police), et le comportement irrationnel d’un soupirant (Juba).L’atmosphère pesante de l’histoire excluait donc les questions superficielles. Elle imposait une exploration minutieuse des profils psychologiques et comportementaux des personnages, afin de me permettre d’écrire ce que je voulais décrire : l’irrationalité des conduites et des réactions face à une pareille situation. Chaque antagoniste, pour moi, devait être unique, réagissant en fonction de son vécu, de son éducation, de son statut, de son environnement, de ses rêves… et de sa fragilité.
L: Quel est l’élément « révélateur » qui vous a incité à écrire Yoko et les gens du Barzakh ?
D.M : Il m’est difficile de répondre avec justesse à la question, je l’avoue. Il existe tellement d’éléments qui auraient pu déclencher le processus de l’écriture de ce roman. Vous savez, tout comme, juste avant le big-bang, à ce jour, personne ne peut dire ce qui le précède. Pour la genèse de tous mes romans, c’est pareil. Souvent, le déclic se produit de manière anecdotique — pour ne pas dire mystérieuse —, pour celui-ci, l’élément révélateur peut paraître insignifiant. Un soir de pluie, alors que nous étions en train de discuter, quand la siamoise, qui « partageait » avec nous tous les espaces de l’appartement, s’était installée sur le fauteuil, en face. Comme à l’accoutumée, son regard bleu, qui nous fixait, était intense, méditatif, ailleurs et ici, toujours, investigateur — sphinx énigmatique gardien de tous les arcanes. J’étais hypnotisé par cette présence un long moment, puis je me suis retourné vers mon épouse et j’ai dit : «Je crois que je vais écrire un roman sur Yoko». Et là, d’un trait j’ai exposé le premier synopsis de «Yoko et les gens du Barzakh» — avec pour premiers personnages : Yoko, Fatouma, Kamel et Juba. A partir de cet instant, l’histoire commençait à prendre forme dans ma tête, et sur de simples bouts de papier, ainsi durant plusieurs jours, puis des mois, avec une de mes nombreuses réflexions qui tournoyaient constamment dans mon esprit : «L’amour et le deuil refusé (déni de la mort) engendrent une immense peine faite de remords pour certains, pour les autres une acceptation déguisée de rituel qu’ils s’inventent pour faire comme si, mais toujours accompagnés avec les souvenirs doux et douloureux. Dans un pareil monde, la vie ne peut que s’écouler en apnée et en apesanteur… Une existence mouillée par les larmes retenues ou cachées.» A ce stade, on pourrait relever que cette première analyse paraît éloignée de la siamoise. Pourtant dans ma tête, il existait déjà un lien. Plus tard, je me suis mis à écrire Yoko et les gens du Barzakh d’une traite.
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