« Je pense que le roman à thèse est une absurdité en soi : un roman, par définition, ne peut rien démontrer, dans la mesure où il recourt à la fiction alors qu’une thèse, pour être vérifiée, nécessite des preuves »
L’ivrEscQ : Vous avez porté votre choix littéraire sur Reinhard Heydrich, le bourreau exemplaire du III Reich. Pourtant, le roman français a beaucoup investi dans l’histoire de la Seconde Guerre mondiale…
Laurent Binet : Pour des raisons liées à mon histoire personnelle, puisque j’ai été envoyé en Slovaquie faire mon service militaire en 1996. Il y a eu beaucoup de livres et de films sur la Résistance française, mais je ne crois pas que beaucoup de Français connaissaient l’histoire de l’assassinat d’Heydrich. D’ailleurs, par rapport à son importance, Heydrich était un personnage assez méconnu en France. Ce n’est pas comme si j’avais écrit un livre sur Jean Moulin !
L. : Vous menez de pair, au fil de la narration, un rapport de construction/destruction de faits historiques soumis à une autopsie critique de l’accumulation de connaissances sur ce sujet. HHhH n’est-il pas à l’intersection entre un essai critique d’ouvrages, de films produits sur le même épisode historique et le récit proprement dit ?
L. B. : Oui, c’est un livre bâtard et c’est pour ça que j’accepte le qualificatif de roman, en fin de compte, car le roman, c’est le genre bâtard par définition, celui qui offre le plus de liberté, il est protéiforme et c’est en cela (et pour moi en cela seulement) qu’il est intéressant. Je trouve regrettable que la majorité des romans suivent des règles que le genre ne leur impose absolument pas : recours à un narrateur fictif, réalisme de rigueur, pacte avec le lecteur sur la suspension de l’incrédulité, etc.
L. : La scène de l’attentat contre Heydrich, mené par les deux parachutistes, est la partie la plus courte, mais la plus importante du roman après une mise en contexte de celle-ci. N’assiste-t-on pas à une autre écriture, un autre ton et temps ?
L. B. : Oui, c’est aussi le chapitre le plus long (avec celui du siège de la crypte) puisque je raconte quelques minutes en vingt ou trente pages. Mais c’est vrai que j’ai voulu marquer une césure au moment où la bombe explose, entre une première partie très longue, qui raconte tous les éléments historiques par lesquels on est arrivé là, parfois en remontant jusqu’au Moyen-Âge, avec beaucoup de digressions, de commentaires ; et cette deuxième partie où l’action se resserre, le rythme s’accélère, les digressions laissent place au récit pur. Et la temporalité se modifie en effet, puisque cette deuxième partie se concentre sur quelques semaines, alors que la première partie couvrait plusieurs siècles.
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