Djamel Ferhi : « Mon roman est une succession d’emails »
L’auteur du Bunker ou le requérant d’asile explique dans cet entretien, la raison pour laquelle son roman est une suite ininterrompue d’emails…
L’ivrEscQ : Le bunker ou le requérant d’asile est-il un témoignage recueilli et romancé ou est-ce une histoire vécue par l’auteur?
Djamel Ferhi : L’histoire est authentique. Elle a été vécue par l’auteur. Je dois vous dire deux choses. Tout d’abord, Nazim Gaya avait en tête de partir dans ce pays pour la durée de son visa. C’est-à-dire 15 jours. Il est parti rendre visite à une amie connue sur internet qui, auparavant, lui avait rendu visite à Alger. Comme le contact lui a semblé plus que positif, elle a tenu à l’inviter, à son tour, à lui rendre visite chez elle. Ce qu’il a failli ne pas faire. Peut-être par peur de l’avion. Oui, c’était la première fois qu’il allait prendre les airs.
L. : Le narrateur est un journaliste algérien qui quitte le pays légalement (contrairement aux harragas). Il arrive en terre helvétique où il demande l’asile. Il est ainsi soumis à séjourner dans des « asiles » dont les pensionnaires sont de nationalité cosmopolite. Pourquoi le narrateur reconstitue-t-il sa communauté d’origine dans une telle situation ?
D. F. : Nazim Gaya n’avait que le choix de «reconstituer» sa communauté d’origine pour plusieurs raisons même s’il avait été maintenu à Kreuzelingen aux abords du lac de Constance aux frontières de l’Allemagne, il serait resté ami avec les Russes avec lesquels il partageait bien des points communs. Quand on part en exil, surtout forcé, -et là je crois que le départ pour le service national en fait partie-, on a tendance à se rapprocher de ceux avec lesquels on partage la même culture, les mêmes points de vue, la même langue voire la même religion, même si ce dernier point n’est pas le fort de Nazim Gaya. Nazim aurait bien aimé se rapprocher des Noirs Africains, ce qu’il a fait avec une Togolaise à Kreuzelingen, dans le bunker mais ceux-ci faisaient bande à part et étaient occupés avec leur marché de drogue. Ils ne voulaient pas être gênés et ils ne faisaient pas confiance aux «blancs» d’Afrique du Nord. Je rappelle que Nazim s’est lié d’amitié avec Jean le polonais, Victor et Alexeï, des russes. Il était même très lié avec Victor et Vladimir à Kreuzelingen.
L. : Il séjourne dans trois «centres» dont le plus important est celui de la ville d’Aarau. C’est le «bunker» du titre. Pourquoi cette expression qui rappelle la période fasciste de l’Allemagne ?
D. F. : Le «bunker» comme son nom l’indique se trouve à Aarau, en Argovie. Il est construit dans la forte tradition des bunkers sous un minuscule monticule. Il est tout en béton et creusé sous terre. Je pense qu’il était là pour abriter les civils des bombardements… Evidemment, c’est Nazim Gaya qui lui a donné ce nom de «bunker». Je ne peux rien dire de plus.
L. : Ces «asiles», situés en dehors des agglomérations, soumettent les requérants provisoires à des règles strictes. N’y a-t-il pas une forme d’aliénation ?
D. F. : Là, on arrive à un point nodal. Pourtant soyons sincères, les réfugiés n’ont-ils pas fui leurs pays d’origine justement à cause de nombreux écueils rencontrés parmi «les leurs ?» Cela dit, l’accueil est limite-limite. Je peux vous donner un exemple. Nazim Gaya s’est intéressé tôt à la langue allemande qu’il voulait parfaire après son départ de Kreuzelingen pour Aarau, toutes deux villes alémaniques. C’est signe qu’il veut s’intégrer car personne alors ne savait que Nazim Gaya avait l’intention de rentrer à Alger… il a reçu une fin de non recevoir. Oui, je confirme : l’accueil dans les pays d’asile est froid même par les journées chaudes d’été et on n’y fait rien pour briser la glace ou balayer les barrières.
L. : Pourtant le narrateur et ses amis s’y « adaptent ». Les plus tenaces vivent de larcins, de vols et sont solidaires. Le narrateur, lui, multiplie les conquêtes féminines. Est-ce une manière pour lui de «fuir» le bunker ou une volonté de se mesurer à la société ?
D. F. : On fait bien de mettre ce mot entre guillemets car rares sont ceux qui s’adaptent vraiment. La plupart font plusieurs demandes d’asile dans plusieurs pays d’Europe et vadrouillent ainsi de pays en pays, sans espoir de stabilité. Du reste, il n’y a pas de loi justement au bunker ni de discipline. Pour le reste, l’amour est essentiel pour Nazim Gaya, même s’il est sans lendemain.
L. : Alors que la plupart des requérants tiennent à leur culture d’origine, le narrateur lui s’en insurge malgré les pressions de la vie collective au bunker et le mépris affiché par les autorités du pays d’asile. Comment l’expliquez-vous ?
D. F. : Je ne m’explique rien, mais je peux vous assurer qu’il est plus doux et aisé de s’insurger en terre helvétique. J’ajouterai que Nazim Gaya a toujours été un anti-conformiste même sur sa terre natale. Il est comme ça.
L. : Il semble plus révolté par la situation politique de son pays que par sa propre situation de «réfugié». Qu’en pensez-vous ?
D. F. : Comme réfugié ou comme étranger dans un pays censé être accueillant, Nazim Gaya s’intègre vite avec ceux qui veulent bien de lui. Et c’est vrai qu’il est révolté par ce qui se passe dans son pays, mais entre nous, qui est satisfait de sa situation ou de son pays ? Les Algériens rêvent de la France ; les Français veulent s’installer aux Etats-Unis et les Américains veulent aller sur Mars. Nul n’est satisfait de sa situation.
L. : Le narrateur décide de revenir au pays et il s’y était même préparé. Cela ne semble-t-il pas ambigu ?
D. F. : Insatisfait pour insatisfait éternel où qu’il soit, ou qu’il se trouve, Nazim Gaya préfère le soleil chaud de son pays. L’ambiguïté est en nous. On la trimbale de pays en pays sans rémission de pouvoir s’en débarrasser un jour.
L. : Dans le bunker, le narrateur écrit, il est d’ailleurs le seul à le faire. Veut-il laisser trace de ses séjours aux bunkers ?
D. F. : Ecrire. Nazim Gaya écrit depuis 1978. Le nombre d’ouvrages qu’il a brûlé est effarant; histoire de ne pas embêter le monde avec ses états d’âmes le plus souvent saugrenus. A l’origine, ce livre ne devait jamais être écrit même si la femme de George et mère d’Anne avait fait promettre à Nazim d’écrire sur leur vie à l’asile et de citer son cas. Ce qu’il a fait succinctement.
L. Le récit est ponctué d’emails dans leur forme d’internet. Des mails entre Nazim Gaya (le narrateur) et m. marchand. Leur échange porte sur ce qu’écrit le narrateur, leur amour tantôt passionnel, tantôt distancé. Il est question aussi de l’Algérie et de sujets politiques. Quelle est la relation entre le récit proprement dit et ces emails ?
D. F. : En effet, le récit est ponctué d’emails. Ce qu’on doit savoir c’est que tout le livre est une suite d’emails. Je m’explique, quand Nazim quitte Michèle, il lui dit : je quitte bientôt cette terre. Il pensait à la terre helvétique. Elle a compris «Terre» avec une lettre majuscule. Elle a cru qu’il allait attenter à sa vie. Il lui donne signe de vie cinq ans après en lui envoyant un bref salut qu’elle reçoit de façon mitigée. Elle ne sait comment réagir devant ce brusque retour dans sa vie de l’amant disparu qu’elle n’a pas pu oublier. C’est pourquoi, elle ne lui répond qu’au bout d’un mois. Elle veut savoir ce qu’il fait, ce qu’il devient, ce qui a bien pu lui arriver depuis le moment où il l’a quittée et le jour où il réapparaît dans sa vie. Commencent alors les emails qui constituent ce livre. Entendre par-là que tout le livre est une suite ininterrompue d’emails.
L. : Comment vous est venue l’idée d’injecter ces emails dans le récit ?
D. F. : En fait, pour être sincère, j’en ai lu des livres, mais je n’en ai jamais lus qui soient intercalés d’emails. Je pense que je voulais écrire quelque chose d’original. Cela dit, je répéte que tout le livre n’est qu’une succession d’emails.
L. : Il y a très peu de témoignages poignants comme le vôtre sur ce phénomène alors que foisonnent des fictions qui s’inspirent de ces réalités. Quel est votre avis ?
D. F. : Je pense que l’exil et les exodes massifs que connaissent les pays à risques sont le mal du siècle. C’est bon d’en parler, de rabâcher, de ressasser et d’étudier le sujet de fond en comble. Ce qui est dommage, par exemple, c’est qu’on ne se penche pas sur l’étude approfondie des raisons et des phénomènes des «harragas», chez nous. On se contente de faire barrage aux harragas, qui préfèrent mourir en mer plutôt que sur la terre ingrate qui les a vu naître, et de leur intenter des procès pour les enfermer. C’est dingue, je trouve ! Pour le reste, mon avis est qu’il faut rester modeste. Le dernier mot reviendra aux lecteurs…
L. : Le récit est écrit avec un «je». Cela renforce-t-il la véracité du témoignage ?
D. F. : J’ai toujours écrit avec ce «je» qui ne me quitte pas. C’était un jeu entre mes lecteurs potentiels et moi, à l’époque où je scribouillais pour mes amis et les membres de ma famille. A mon avis, cela donne aussi l’impression pour l’auteur que le lecteur s’implique plus. Même si le «il» permet une certaine distanciation, pour ma part, je préfère sentir que je m’implique dans mes histoires. Ce «je» est peut-être pour moi, une façon de m’affirmer. Comment savoir ?
Il n'ya pas de réponses pour le moment.
Laissez un commentaire