Des membres d’une même famille, toutes générations confondues, vivant dans un quartier populaire d’Alger, se livrent à une introspection qui les mène à la croisée de leur intimité et de leurs inimitiés.
Des Ballerines de Papicha, de Kaouther Adimi
Monologues en famille
Une écriture fluide pour un monde complexe. Des êtres fragiles dans un univers hostile. Des vies individuelles. Des personnages ambigus. Une famille désunie. Une société malade. Une routine qui tue : drogue, whisky, désir, délire, paroles, promesses, peine, détresse. Le roman de la jeune Kaouther Adimi, Des ballerines de Papicha, est un condensé de narrateurs qui parlent d’eux-mêmes. Une histoire où les « je » dévoilent leur vécu. Ils trainent sur leur sillage une lassitude, un dégoût et un défaitisme qui en disent long sur la vie que mène ses acteurs dont Adel, Yasmine, Kamel, Nazim, Sarah, Mouna, Hadj Youssef, la maman…
C’est avec des mots de tous les jours, que la jeune auteure dit les grands maux du quotidien d’un quartier populaire d’Alger. Avec des phrases courtes, hachées, qui dénotent une grande maturité et une vive sensibilité, Kaouther Adimi trace le tableau en noir et blanc d’une jeunesse algérienne perdue, d’espoirs déchus, de rêves fous et de personnages malheureux. L’auteure décrit ses personnages et les fait parler pour exprimer leur mal-vie, leur solitude et leur désespoir. Ce sont des voisins, des habitants d’un même quartier, mais des personnes esseulées, retirées. Ce sont des membres d’une
même famille, qui partagent le même toit, mais qui vivent chacun dans son monde.
Des Ballerines de Papicha se présente comme une galerie composée de Adel, le frère renfermé sur lui-même, le jeune homme incompris : « Ma mère est sur le pas de la porte (…) La condamnation se reflète dans ses yeux noirs »; de Nazim, étudiant en médecine le jour et vendeur de meubles la nuit, qui « nous approvisionne en pilules, somnifères, seringues, fausses ordonnances, pansements, médocs en tous genres et bouteilles d’alcool » et qui rêve de fuir le pays avec sa dulcinée ; de Sarah, la malheureuse artiste, d’une sensibilité extrême, mais qui se retrouve victime de la folie de son mari « Hamza, excuse-moi de te délaisser (…) mais voir le rouge de la terre s’élever dans le ciel bleu et éclabousser le blanc des nuages est bien plus intéressant qu’essuyer ta salive qui coule sur ton menton » ; de Yasmine, la belle étudiante de Bouzaréah qui, telle une somnambule, vaque à son quotidien en regardant son entourage, mais sans rien attendre de la vie ni espérer meilleur avenir « Je suis née ici, j’y ai toujours vécu et j’y mourrai sans doute et de cette ville, je ne vois plus la blancheur, la beauté ou la joie de vivre » ; de Hadj Youssef, ce vieux voisin vicieux qui achète les jeunes filles comme on achète un produit de beauté qu’on fait vite d’épuiser « Je donne de l’argent aux belles étudiantes qui me donnent un peu de beauté » ; de Mouna, cette jeune papicha aux ballerines colorées, collégienne naïve dans ses propos, encore innocente dans sa vision de la vie, qui ne rêve que d’une seule chose : épouser son Kamel, malgré et contre tout « Moi, je veux apprendre comment on fait pour se marier avec Kamel. Comment on fait pour conserver longtemps ses ballerines propres. Je suis une papicha, c’est Kamel qui me le dit quand je passe devant lui » et de bien d’autres personnages encore qui se dévoilent au lecteur en lui contant leurs déboires et en lui exprimant leur amertume et leur désespoir.
La jeune Kaouther Adimi, dans sa fraicheur de jeune auteure prometteur, avec une sensibilité empreinte de timidité et de candeur – ce qui l’a sans doute empêché de puiser plus en profondeur dans ses récits et ses personnages -, a ainsi peint un tableau quasi-réel d’une cellule familiale disloquée, faite de membres esseulés, en retrait, représentative de toute une société fragilisée, malade et presque à l’agonie.
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