Considéré comme un des peintres non-figuratifs majeur de la seconde moitié du XXème siècle, Abdelkader Guermaz (Mascara, 1919-Paris, 1996), est avec Mohamed Khadda (1930-1991), Abdallah Benanteur (1931) et Mohamed Aksouh (1934), l’un des fondateurs de la peinture algérienne moderne de tendance abstraite, mais aussi l’un des maîtres de la Nouvelle Ecole de Paris. Hélas, ce peintre algérien de renom demeure un «illustre inconnu» en Algérie, en dépit de l’année Guermaz décrétée en 2009 pour laquelle ses admirateurs ont agi et écrit. En France, où l’artiste a vécu de 1961 à sa mort, son œuvre est mieux (re)connue. Expositions et ouvrages se sont multipliés, grâce notamment aux actions entreprises par son plus grand spécialiste, Pierre Rey, président du Cercle des Amis de Guermaz. Ce dernier est à l’origine de la dernière exposition intitulée Guermaz, peintures 1961-1996, l’alliance du spirituel du sensible qui a eu lieu en juin 2012 à la galerie Hebert à Paris. Dans la même galerie se tiendra du 16 octobre au 10 novembre 2013 la rétrospective Guermaz, peintures 1961-1996, regards sur le monde. Un Hommage lui sera rendu également au Salon d’Automne de Paris du 29 octobre au 3 novembre 2013. Enfin, le 7 octobre 2013 aura lieu une vente de ses tableaux à l’Hôtel Drouot (Paris), après celle du 17 juin 2013. Devant cette exceptionnelle actualité-consécration de Guermaz, nous avons demandé à Pierre Rey de nous retracer l’itinéraire de cet artiste algérien (peintre-aquarelliste-graveur-créateur de cartons de tapisserie professeur-critique d’art) qui a été le ferment de toute sa vie. Hamid NACER-KHODJA
Abdelkader Guermaz (1919–1996)
Peintre du silence et de la lumière
Reconnu comme un des grands artistes non-figuratifs de la deuxième moitié du XX ème siècle par tous ceux qui ont eu l’opportunité de le connaître un jour, experts en art, conservateurs de musées, critiques d’art, directeurs de galeries, public, Abdelkader Guermaz (1919-1996), peintre non-figuratif algérien de la Nouvelle Ecole de Paris, a connu naguère la notoriété, tant que son œuvre put être présentée au public .Mais un jour les circonstances ne l’ont plus permis et il s’est fait assez longtemps oublier. Les prises de position en sa faveur des grands connaisseurs de la peinture algérienne et de ses amis, de même que les actions entreprises sous l’égide d’un groupe de travail devenu Cercle des Amis de Guermaz, qui s’est fixé comme objectif de lui redonner la notoriété qu’il mérite, ont déjà porté leurs fruits, études critiques, éditions d’une monographie et d’un Essai, colloque, expositions… Mais l’œuvre de Guermaz est toutefois encore trop peu connue du «monde de l’art», insuffisamment présente dans les Centres de documentation des musées et les bibliothèques, de même qu’ignorées des professeurs d’Université ou des Instituts d’Art, qui pourtant pourraient en faire entreprendre l’étude par leurs étudiants, comblant ainsi une lacune en l’Histoire de l’Art. Aussi, notre présentation se veut-elle une introduction à une œuvre qui n’a pas démérité.
Une famille algérienne originaire de Mascara
C’est bien dans l’ouest algérien que la famille Guermaz a ses racines depuis plusieurs générations, bien que son nom lui ait laissé penser que son origine lointaine était la Perse. Né le 13 mai 1919 à Mascara, comme son père Bentaleb et sa mère Dine Fatma Bent Ahmed, Guermaz vient s’établir en 1929 à Oran avec sa mère. Il y vivra ses années d’adolescence, celles de sa formation, son entrée dans la vie active, et sera très vite reconnu comme un artiste de talent. Guermaz manifeste de bonne heure des goûts artistiques à l’école des beaux-arts d’Oran 1938- 1942. «J’ai manifesté de très bonne heure des goûts artistiques», dit il à un journaliste lors d’un entretien : «Quand j’avais huit ans, je charbonnais déjà les murs et j’étais premier en dessin à l’école. Arrivé à l’école secondaire, je me suis inscrit au cours du soir d’une école de dessin». Fidèle à sa vocation, Guermaz devient à vingt ans élève de l’Ecole des Beaux Arts d’Oran dont il est alors le seul étudiant algérien, suivi quelques années plus tard par Benanteur qui, dans une interview qu’il accordera à Djilali Kadid, se souviendra de ces années où il a côtoyé Guermaz, «l’aîné» le plus doué. Guermaz, ajoute-t-il, était en outre poète et critique…Il servait de modèle pour gagner sa vie, peignait des enseignes, celles des bains maures qui se trouvaient dans le Village Nègre – une sorte de Casbah habitée uniquement par des compatriotes, juste à côté de l’école – et faisait aussi de la décoration de patronage et de kermesse (Djilali Kadid, Benanteur, Empreintes d’un cheminement , Paris, Myriam Solal,1998, p .85, 91 et 92 S’il fut très vite reconnu comme un peintre de talent, il devait avoir une activité professionnelle pour gagner sa vie. Il travaille, pendant la guerre et jusqu’en 1954, pour le compte de l’Entreprise de peinture Henri Assis, requise par la Marine Nationale, où il assume le métier de peintre en lettres sur les cuirassés et les sous-marins, ainsi que, précise t il, dans l’Arsenal des gyroscopes, dans tous les chantiers aussi bien sur les docks qu’en mer, à la Direction des Constructions et Armes Navales (D.C.A.N). A la fin de la guerre, il entre en 1954 comme rédacteur au Journal «Oran-Républicain», issu du Front Populaire, et le restera jusqu’en 1961, année où il quittera la ville pour Paris. Il y travaille la nuit pour se consacrer le jour à la peinture. «Nous avions, précise t il, une grande salle de rédaction pour travailler tous ensemble et il fallait que chacun puisse écrire sur tous les sujets, art, littérature, politique. Ce fut, ajoute-t- il, une excellente formation.
Poésie, littérature, peinture à Oran 1942- 1961
La littérature, la peinture et la musique, ont été «les seules choses» qui «plaisaient vraiment» à Guermaz au temps de son adolescence. S’il fut peintre et dut délaisser la musique, il s’exprime avec talent comme essayiste et critique d’art à Oran-Républicain et collabore à des revues littéraires auxquelles il confie gravures et dessins, telles Simoun, Soleil, L’Amitié par la plume, dont il recevra en 1953 le premier prix au Concours vers libres de poésie. Poète, il aura des relations étroites avec Louis Guillaume et Jean Sénac Il s’entretiendra aussi de littérature avec Camus lors de ses séjours oranais et notamment en 1947 au Moment de la publication de La Peste Peintre, Guermaz partage alors la conception de l’art des Peintres de la Réalité Poétique dont Brianchon est le chef de file, un réel transfiguré par la poésie, «à mi-chemin entre le Réalisme traditionnel et l’Irréalisme moderne», comme l’écrit Bernard Dorival (in Les Etapes de la peinture française contemporaine, T.3, Paris, Gallimard, 1946, pp. 238 et ss.). Il porte un regard sensible sur le monde qui l’entoure et en recrée l’atmosphère, scènes d’extérieur, mais il excelle aussi dans les scènes d’intérieur et les natures mortes. Robert Martin, directeur de la galerie Colline à Oran, le remarque et l’invite à participer à des expositions de groupe où sont réunis peintres algériens ou d’origine européenne. Il y sera présent aux côtés des grands noms d’artistes contemporains lors de l’exposition Panorama de la Peinture en France de Picasso à Bernard Buffet qui s’y tiendra en 1959. Il participera aussi pendant cette période à des Salons, enverra des toiles à l’étranger et sera invité à la Biennale de Menton en 1951 avec son ami Cavaillès.
D’Oran à Paris 1961
En octobre 1961, Guermaz, qui souffre d’un décollement de la rétine, se rend à Paris pour se faire soigner. Après dix mois passés dans cette ville, puis après un très court séjour à Oran en juillet 1962, il revient définitivement à Paris. Ce retour engagera sa vie de manière décisive. A ce moment de l’histoire, maints écrivains et artistes algériens se tournent vers Paris. Attentifs à l’évolution de la peinture en France, ces derniers pressentent que l’exemple qui leur est donné par les artistes parisiens qui se sont orientés vers l’abstraction dans les années d’après- guerre sera décisif pour eux, s’ils les suivent dans cette voie, et leur permettra de se «ressourcer» en étant fidèles à la tradition non-figurative de l’expression artistique maghrébine. Ainsi verra le jour le «Mouvement Abstrait» algérien dont Guermaz sera un des protagonistes. D’autres artistes algériens et européens d’Algérie l’avaient précédé à Paris quelques années auparavant : Issiakhem, élève de l’Ecole des Beaux-arts de Paris en 1953, Khadda qui a fréquenté dès 1953 les ateliers de l’Académie de la Grande Chaumière, Benanteur, arrivé à Paris la même année, Mesli entré aux Beaux-arts de Paris en 1954, Bouzid, vivant à Paris ou à Bruxelles entre des séjours en Algérie à partir de 1955. (…)
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