Quelques mots d’introduction du personnage principal sont de rigueur avant de présenter la trame du récit et la motivation qui a inspiré l’écriture du livre.
Alilou, de son vrai nom Ali Amara, avait 22 ans lorsqu’il s’engagea dans la résistance, tout au début de la guerre d’Algérie. Enfant de la Casbah où il est né en 1932, il connaissait les moindres recoins de cette vieille ville indigène, véritable labyrinthe inextricable de ruelles et d’impasses. Il eut une ascension rapide dans l’organisation clandestine (Zone autonome d’Alger) grâce à son esprit d’initiative et son sens de l’action. Il fut chargé du secteur bombes, de leur distribution et de la logistique et eut aussi comme responsabilité le soin d’aménager des lieux de refuge pour les membres de l’organisation recherchés par les autorités françaises. Confier des tâches aussi importantes à un si jeune homme démontrait la confiance qui avait été investie en lui par les responsables du FLN. Les bombes feront régner la terreur dans la capitale dans les années 1956-1957 et le rôle d’Alilou sera ainsi important dans la fameuse bataille d’Alger, cette bataille devenue un des plus grands mythes historiques de l’Algérie.
L’auteur de ce livre, âgé alors de 12 ans à cette époque, le voyait souvent dans son quartier où la famille Amara tenait une épicerie. Trop jeune à l’époque, il n’avait aucune idée des activités d’Alilou mais il l’apercevait souvent dans un salon de coiffure qui jouxtait sa maison.
Un beau matin, le 3 août 1957, une annonce inattendue choqua les habitants du quartier. Le nom d’Alilou s’étalait en grosses lettres sur les couvertures des grands quotidiens algérois, dont L’Écho d’Alger et Le Journal d’Alger. Sa photo y était aussi affichée. Les titres indiquaient qu’Amara Ali dit Alilou, avait été capturé. Selon ces journaux, Alilou avait été l’auteur de plusieurs attentats et il avait été déjà condamné à mort par contumace lors du procès « des deux Djamila », Djamila Bouhired et Djamila Boupacha. Ces deux jeunes femmes étaient aussi impliquées dans la résistance et avaient été accusées d’être des poseuses de bombes.
Arrêté en août 1957, Alilou avait été atrocement torturé. Les services français réussirent à le « retourner ». Il devint membre des bleus, des auxiliaires ou des supplétifs en quelque sorte, tous des anciens membres du FLN, organisés sous la férule du capitaine Paul Alain Léger, un officier français formé en Indochine à la guerre subversive.
Le supérieur de Léger à Alger, le colonel Roger Trinquier, avait créé un Dispositif de protection urbaine. Léger était chargé d’organiser et de superviser cette structure. Non satisfait, il voulait aller plus loin et forma, avec l’accord de son chef hiérarchique, le GRE, un service spécialement conçu pour rechercher et surtout exploiter le renseignement. Il enrôlera à cet effet des anciens membres du FLN.
Qu’est-ce qui a poussé l’auteur à écrire le livre ?
L’auteur connaissait Alilou et lui était reconnaissant d’une certaine manière, pour avoir sauvé pendant la guerre son frère aîné d’une arrestation et d’une torture certaine. Il a voulu exprimer cette gratitude en écrivant ce livre qui lui a donné l’occasion d’aborder plusieurs thèmes, de les présenter et de les commenter. Parti dès l’indépendance loin de son pays natal, aux Etats-Unis d’Amérique, il avait laissé derrière lui les terribles souvenirs de cette longue et meurtrière guerre qu’il voulait effacer définitivement de sa mémoire.
Une fois à la retraite, l’auteur est allé vivre sur les bords du Danube, en Autriche, et un beau jour, il se décida à rendre visite au vieux pays où il n’avait pas mis les pieds depuis une éternité, semblait-il. Une fois-là, le passé fit brutalement irruption dans sa vie, le rattrapa. Des souvenirs qu’il croyait délébiles remontèrent à la surface. Il est certain que revoir la Casbah après tant d’années de séparation raviva sa mémoire. Des images surgirent sans retenue. Il se souvint de cette guerre qui avait été exceptionnellement longue et qui lui avait ravi son enfance. Il se remémorait en particulier l’épisode de la bataille d’Alger où il était placé au premier rang, pour ainsi dire. À l’occasion de rencontres et de longues discussions avec des anciens de la Casbah, il s’aperçut que les discours officiels des nouveaux maîtres du pays et la version préfabriquée sur la guerre d’Algérie étaient constitués de dénis et de contre-vérités. Ce qui le frappa, c’était que, en dehors de la famille d’Alilou et de ses proches parents, personne n’avait le souvenir d’Alilou. Les historiens algériens non plus étaient muets sur ce personnage car les chefs de la Zone autonome d’Alger, dans leurs écrits, n’ont fait nulle mention de lui. C’était assez intriguant puisque Alilou avait été l’adjoint principal de Yacef Saadi, le chef de la ZAA pendant la bataille d’Alger. L’auteur décida de faire des recherches à ce sujet et il alla de surprise en surprise. Ses découvertes sont relatées dans ce livre.
Alilou est mort en 1986 alors que l’auteur était certain qu’il avait perdu la vie en 1962-63. Que s’était-il passé entre-temps ? Le livre révèle les rebondissements et les surprises de cette quête de la vérité historique. Quelle était la circonstance d’Alilou, cet ensemble des faits qui l’ont accompagné dans la vie ? Car définitivement, Alilou appartenait à un monde donné, un milieu dans lequel il était venu au monde et avait été façonné par son entourage.
Il est apparu important au départ de situer le lieu où s’est déroulée l’histoire mais surtout de décrire le contexte où elle s’est passée. L’auteur passe en revue les gouvernements français de l’époque et brosse un portrait d’Alger, cet espace unique sur la côte méditerranéenne.
Questions soulevées par le parcours de Alilou.
Les grands thèmes suscités par le personnage Alilou sont multiples. Leur traitement permettra de les commenter. Le premier concerne la grande question de la figure du héros et celle du lâche. Alilou a été étiqueté définitivement comme traître par ses concitoyens. Après tout, il avait revêtu la tenue de bleu, avait rejoint les rangs du capitaine Léger, et avait renié ses frères de combat. La question est donc posée : Qu’est-ce qu’un héros et qu’est-ce qu’un lâche ? Comment les distinguer ? L’auteur émet à cet égard l’opinion qu’il n’y a pas de ligne claire entre les deux natures. Toute personne a des faiblesses et des failles, mais aussi des dimensions humaines louables. Alilou a personnifié ces deux aspects de la nature humaine. Voilà Alilou, un jeune homme qui en s’engageant dans la résistance était prêt à donner sa vie pour la liberté de son pays, voilà qu’il se transforme par la suite en collabo, en salaud ! Comment en était-il arrivé là ? Comment les générations d’aujourd’hui se seraient comportées si elles avaient été confrontées par les mêmes dilemmes. Il est certain qu’elles n’auraient pas engendré dans chaque cas des héros en puissance.
D’autres thèmes sont débattus :
*Quelle est la tâche d’un historien ou d’un intellectuel ? Quel est le rôle de l’Histoire ? L’objectif du livre est de rapporter un événement en se basant sur des sources fiables plutôt que celles guidées par le parti-pris ou l’idéologie. Comme le proclamait Cicéron dans la Rome antique, il y a « obligation pour l’historien de ne dire rien de faux, d’oser dire tout ce qui est vrai, d’éviter tout soupçon de partialité, de faveur ou de haine… » En bref, il faut coller aux faits. De plus, l’histoire ne doit chercher nullement à justifier quoi que ce soit. Elle établit des faits, bons ou mauvais. Il faut tout dire.
Dans la connaissance du passé, il ne suffit pas seulement d’apporter des éléments factuels mais également de les faire parler, de les interroger, de poser des questions, pour en tirer un enseignement qui soit intelligible. Une première constatation est que les révolutions sont ingrates envers leurs héros, envers ceux et celles qui les ont initiées ou ont tenté de les réaliser.
Il y a eu des dénis, des non-dits, des oublis, des contre-vérités dans l’histoire de la guerre d’Algérie. On a voulu imposer une histoire officielle, préfabriquée et l’auteur s’efforce dans ce livre de relever quelques exemples de cette supercherie.
La bataille d’Alger est revisitée et l’auteur tente de jeter une autre lumière sur cet épisode de la guerre. L’art de la duperie qui l’a caractérisé est étudié. L’opération Bleuïte est décortiquée et analysée. Cette opération d’infiltration et d’intoxication à grande échelle a fauché sérieusement les rangs du FLN et de l’ALN. Des milliers d’Algériens en seront les victimes.
Un portrait de Alilou le bleu est tracé. Son action est passée en revue ainsi que celle de ses camarades retournés. Ils avaient tous été interrogés ou plus exactement torturés et avaient été contraints de « coopérer » avec les militaires français. Ainsi a été la guerre, cruelle, sans pitié où toutes les normes d’humanité ont été bafouées, d’un côté comme de l’autre. La torture et la violence qui ont marqué la guerre d’Algérie et leurs conséquences sont exposés et dénoncés, et ce quels que soient les camps qui les ont pratiquées, armée française et FLN/ALN.
Finalement, dans l’épilogue, des critiques sont émises vis-à-vis des gouvernants algériens, depuis l’indépendance jusqu’à aujourd’hui. Le constat rapporté dans ce livre est qu’ils ont failli lamentablement : un État digne de ce nom n’a pas été formé. La conclusion du livre est que la vraie décolonisation n’a pas encore eu lieu ; elle est toujours en devenir ; il y a eu seulement un changement de propriétaire. L’Algérie tant aimée est toujours souffrante !
Des photos, au nombre de 22 au total, sont incluses dans le livre. Elles représentent un élément essentiel et utile pour se tremper dans l’environnement de l’époque des années 50. Elles constituent des preuves que le récit n’est pas une œuvre de fiction mais qu’il est bien réel. L’écriture est plus visuelle quand elle est traversée d’images fortes d’époque qui contiennent une charge émotive. (disponibles sur Amazon )
par Kader Benamara
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