Un roman transgressif
Paru en 2013 en Algérie, ce roman impressionne le lecteur qui perçoit d’emblée son caractère transgressif, mais aussi légèrement énigmatique, ce qui est évidemment un attrait supplémentaire et de la part de l’auteur, un refus de la facilité. Car s’il y a transgression, il faudrait mettre le mot au pluriel : il y en a plusieurs, et la plus importante n’est peut-être pas la plus apparente ou la plus évidemment provocante. Mais au lieu d’en conclure qu’une transgression peut toujours en cacher une autre, mieux vaut reconnaître que toutes les transgressions se confortent entre elles, qu’elles ont des affinités réciproques plus ou moins évidentes, et qu’on ne peut s’en tenir à une seule sans mettre en branle tout ce qui dans une société, étant considéré comme subversif, en constitue le véritable ferment.
Le roman d’Amin Zaoui joue pleinement sur cet approfondissement progressif qui fait passer du plus immédiatement apparent au plus profondément enfoui, sous l’effet d’un refoulement plus que jamais actif.
Plus que visible évidemment, sous la forme d’une plaisante provocation et exhibition, la place éminente de la sexualité dans le rapport entre les deux personnages principaux, Barkahoum et Ibrahim. Le goût manifesté par le première pour le pénis de son compagnon permet de focaliser ce que l’auteur appelle les amours charnelles sur un objet concret qui fait évidemment partie de ce qu’on ne saurait voir ou décrire dans une littérature supposée convenable, tant il est vrai qu’il y a du plaisir à choquer les hypocrites et à les offusquer, surtout quand il s’agit de réalités aussi proches, aussi intimes, et que tout le monde connaît.
Mais il est bien vrai que ce n’est là qu’un début, et qu’Amin Zaoui continue le combat, c’est le cas de le dire, dépassant et de beaucoup l’effet subversif que peut avoir en Algérie toute écriture de la sexualité. Ses maîtres en la matière sont aussi bien Boudjedra qu’Henri Miller, ce qui pour nous lecteurs est un indice : la littérature érotique a plus d’un sens et il faut suivre les pistes qu’elle nous ouvre (sans oublier évidemment son effet descriptif immédiat). Barkahoum nous aide considérablement en s’extasiant sur la «circoncision judéo-islamique» qui fait, selon elle, toute la beauté du sexe de son amant. L’adjectif composé «judéo-islamique» sera si l’on peut dire le mot clef de tout le roman, rapprochant jusqu’à une quasi-fusion deux termes que la politique contemporaine vise à rendre incompatibles. L’auteur tient par là à rappeler comment une pratique aussi fondamentale que la circoncision, unissant nature et culture puisque liée à la fois au corps et au rituel, unit profondément juifs et musulmans dans une communauté dont elle ne saurait être le seul aspect, vu son importance réelle et symbolique. Le rapprochement des deux termes dans la formule «circoncision judéo-islamique» est un véritable leitmotiv du roman, revenant régulièrement dans la bouche (!) de Barkahoum et imposant sur la totalité du livre une sorte de logo, au point que si la décence l’avait permis, on imagine qu’il aurait pu figurer sur sa couverture. En faisant de la circoncision un «art ancestral» la jeune femme signifie d’ailleurs le caractère très ancien de la communauté judéo-islamique, remontant aux origines qui sont comme chacun sait considérées comme le haut lieu de l’identité.
L’audace verbale devient plus grande encore lorsque le pénis circoncis est appelé, par la jeune femme qui se plaît à le contempler, voire à le manipuler, un «minaret de chair», provocation évidente à l’égard des islamistes dont l’auteur se dit évidemment qu’ils la méritent bien ! Même si le but du livre n’est pas de faire rire, le fait qu’on puisse s’en amuser ici ou là ne peut qu’ajouter au plaisir.(…)
Denise Brahimi
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