La littérature algérienne est un continuum de romans qui s’agencent et s’imbriquent pour fonder une sorte de récit national inédit. Cette généalogie poétique arrive toujours à déjouer les aléas des genres et donne aux différentes thématiques une parenté certaine malgré leurs diversités et leurs richesses. Ainsi, dans cette multitude d’œuvres nées ces vingt dernières années, l’écrivain Amin Zaoui vient de clôturer avec son roman, Le dernier juif de Tamentit, une trilogie dont la genèse remonte aux années noires du terrorisme. Le premier volet de cette série a commencé en 1999 avec, Le dernier été de la raison, du défunt Tahar Djaout. L’écrivain-journaliste assassiné par les forces obscures tentait par sa plume d’attirer notre attention sur l’urgence de sauver la rationalité mise en péril par la pensée mythique importée des fins fonds des âges. Il faisait de Boualem Yekker, le libraire, l’incarnation de cette résistance salvatrice, dont le livre est le pivot d’une lutte qui sauve quand les repères sont biaisés.
Quatre ans plus tard, Assia Djebar, future académicienne, ajoute à cet édifice en construction un roman au titre provocateur, La disparition de la langue française. Berkane le héros du roman ne reconnaît plus son pays dont le mode de vie, la manière d’être et une façon de parler sont mis à mal par une génération bigote. Cet assaut contre l’esprit et l’une des langues par lesquelles cette pensée s’exprime, donnent à la littérature un rôle moteur dans la sauvegarde d’un destin national vacillant. Amin Zaoui en 2012 achève avec, Le dernier juif de Tamentit, cette trilogie dédiée à la mémoire. Son récit nous donne à lire une allégorie qui fait un clin d’œil au film Le dernier des Mohicans, qui montre l’impérieuse nécessité de sauver une communauté humaine enracinée sur cette terre depuis deux millénaires. Amin Zaoui en conteur très habile, ayant intériorisé différents modes narratifs, délivre aux lecteurs un récit intemporel avec un foisonnement de personnages qui rappelle les romans de Dostoïevski. Mais de cette flopée humaine qui traverse ce conte baroque émerge : Ibrahim et Barkahoum. Les deux amants assurent la transmission d’une histoire tumultueuse où l’esprit de leurs ancêtres ne cesse de les visiter. Ces derniers sont comme les spectres de Hamlet, ils empruntent de multiples prétextes pour imposer leur biographie et leur trajectoire atypiques. Et ce sont surtout les moments d’intimité amoureuse qu’ils affectionnent pour se manifester. Ils agissent comme préliminaires à leurs ébats érotiques intenses. L’évocation de ces histoires familiales excite l’esprit et les sens des amoureux pour devenir l’aphrodisiaque qui maintient la flamme d’une relation torride. Le narrateur prend de multiples identités, d’abord Ibrahim pour dire que la communauté juive en Afrique du Nord se confond avec la communauté musulmane par le partage de certains rites, coutumes et habitudes. Cette identité retrouve son originalité juive quand il se dit Abraham. Cet Ibrahim et/ou Abraham est l’héritier d’une longue lignée qui a beaucoup vadrouillé en Afrique du Nord après avoir fait un détour par l’Andalousie.
L’histoire de cet âge d’or en péninsule ibérique montre qu’une cohabitation harmonieuse entre les deux religions est possible. Les échos de cette tolérance trouvent leur résonnance dans le présent quand son grand père «Hadj Mimoun» est désigné par les gens de Tamentit, cette Oasis du Touat, située dans le Sud-Ouest algérien, pour conduire les pèlerins à La Mecque. Le syncrétisme atteint son paroxysme avec cet acte progressiste. Ibrahim n’occulte aucun fait à Barkahoum car il a décidé de bannir de son récit la glorification des ancêtres en s’éloignant des hagiographies improductives.(…)
Slimane Ait Sidhoum
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