L’ivrEscQ : Tout au long de votre ouvrage Salam Ouessant paru dernièrement aux éditions Sedia, vous marquez un temps d’arrêt devant les lieux : Des falaises. Des cieux. Des rochers…
Azouz Begag : Le lieu est le terroir ou le territoire qui transpire l’histoire où se déroule la vie. C’est comme une peau qui prend le corps de l’être. C’est ma position contemplative, car le lieu est aussi témoin de la grandeur du Créateur. En effet, on découvre parfois l’immensité de l’univers dans les tout petits détails : un roseau plié sous la brise. Un petit oiseau qui fait sa toilette dans une flaque d’eau. Un ciel étoilé. Un mât d’un petit voilier… C’est dans tous ces petits éléments qu’on découvre l’immensité humaine. C’est ce qu’on appelle « apprécier une vie terrestre », se rendre compte de toutes ces belles choses qui n’ont pas de signification en soi, mais qui révèlent toute la grandeur et la magie de l’existence. C’est l’âge qui m’a fait atteindre cette position du recul, du temps d’arrêt, de béatitude.
L. : L’âge, dites-vous !
A. B. : Oui. Je crois que plus on vieillit, plus on atteint l’âge de la sagesse et plus on s’arrête sur les petites choses indicibles dans lesquelles on retrouve la joie de vivre et le bonheur. Par exemple, tout à l’heure, j’étais dans ma chambre d’hôtel, je regardais le découpage de cette baie d’Alger : un arc de cercle presque parfait. Étonnant de beauté ! Aussi, je me suis extasié il y a quelques jours à Lyon devant un double arc-en-ciel. On avait l’impression qu’il ouvrait son étendue multicolore, on aurait dit presque la roue d’un paon. C’est tellement magique que j’avais envie d’écrire ! Il en est de même lorsqu’on voit une belle femme. On est tellement attiré qu’on a envie de lui dire des mots d’amour, de lui écrire de la poésie pour dire la beauté ! La vie ! La femme ! En fait, c’est l’amour ! En revanche, les enfants d’aujourd’hui ne s’intéressent malheureusement pas à ces détails-là. Ils sont dans l’action et ne sont jamais fascinés par l’ordre de la nature…
L. : Dans votre roman vous parlez de Sofia et Zola qui veulent visiter l’Algérie. Pourtant, ce père – peut-être vous – « algérien » va les détourner de peur qu’elles ne soient déçues… Et vous préférez donner une réponse dans le récit d’un « je » qui est le vôtre, et qui se mêle à celui du narrateur pour tisser un sentiment d’amour. De crainte, constamment…
A. B. : Ce livre raconte une traversée entre la France et l’Algérie, mais aussi entre Lyon et l’île bretonne d’Ouessant. Et c’est à chaque fois lors de ce survol entre les deux rives que le narrateur se posait des questions sur « ce qu’il avait quitté et où il allait ». Quand il était parti de France à l’âge de cinq ans et quitté pour la première fois l’Algérie, pays de ses parents. C’est initiatique ! Il quittait les bidonvilles pourris de Lyon pour espérer trouver mieux en Algérie. En même temps, il se posait des questions : qu’est-ce qui fondait son identité ? Il se demandait ce qu’était « l’origine ». Était-ce le pays où il était né ou celui où ses parents l’étaient ? Pendant la traversée de ce bateau, toutes ces questions le terrassaient. Plus on s’approchait de la baie d’Alger, plus il était loin de la France et plus il avait peur de ce qu’il allait retrouver. C’est exactement le même voyage qui se faisait entre la ville de Lyon et l’île d’Ouessant. Il avait donc peur de ce qu’il allait trouver puisqu’il ne connaissait pas cet endroit-là…
Effectivement, les deux filles demandent à leur père pourquoi ne sont-elles pas parties en Algérie au lieu d’Ouessant. Elles voulaient à tout prix chercher l’identité perdue de leur père. Après le divorce de leurs parents, Sofia et Zola avaient la frustration d’être en manque de « nourriture » identitaire de la branche paternelle. Elles se sentaient étrangères à Ouessant et étaient sûres qu’en Algérie, elles seraient enfin chez elles. Mais le papa perdu cherchait plutôt un lieu où il serait au repos sans toutes ces questions. C’est donc cette recherche qui fut l’objet de mon investigation littéraire dans Salam Ouessant. Je vous rappelle que Salam signifie « la paix ». C’est ce que cherchait cet homme parce qu’il avait la « nostalgérie », la nostalgie de cette belle Algérie des années 60 qu’il avait connue !
L. : Peut-on dire que ce héros est Azzouz Begag ? Vous dévoilez-vous dans ce récit ?
A. B. : Non ! C’est la vie d’un être humain. Peu importe si c’est la mienne ou pas. Les Anglais disent human being pour dire « être humain » dans le sens du projet « de devenir un être humain » ; autrement dit, être humain est une perpétuelle recherche jusqu’au dernier jour de sa vie. Pour moi, ce n’est pas un aboutissement. Qu’est-ce qu’on a fait là pendant 70 ans sur cette terre ? Qu’est-ce qu’on a laissé à nos enfants ? Et où va-t-on ? Quand la flamme de la vie s’éteindra où serai-je ? On ne le sait pas ! Et donc c’est un devenir constant et une construction de soi permanente qui ne s’achèvent jamais. Voilà pourquoi je considère aussi qu’être en quête perpétuelle n’est pas une situation de faiblesse, mais, bien au contraire, celle d’une grande humanité ! Les êtres humains se ressemblent tous.
Mais, certains n’ont pas peur de dire qu’ils doutent, qu’ils ne savent pas, qu’ils se cherchent. Que dans cette Algérie qu’ils aiment, comme moi, il y a des aspects algériens qu’ils détestent. Que dans cette France où ils sont nés aussi, il y a des aspects insupportables. Chacun d’entre nous cherche finalement le lieu où il sera au repos. Où il sera tranquille. Où il n’aura plus de questions à se poser. Et existe-t-il un lieu, une île, un territoire, un pays, une maison… où quand je suis dedans je dis Al hamdoullah, ici, c’est chez-moi ! Je n’ai plus à avoir peur, je n’ai plus de questions à me poser… Vogue la galère ! Est-ce que cela existe ? Non, cela n’existe pas ! Par conséquent, c’est cette éternelle quête précisément qui est l’objet de mon investigation littéraire dans Salam Ouessant(…)
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