Les thèmes abondent au travers de l’éloquence du verbe féminin au bord de la Méditerranée…
Chèvre-Feuille étoilée est une édition française à vocation méditerranéenne, créée le 18 janvier 2000 à Montpellier par quatre femmes des deux rives. Elle a pour mots clés : femmes, oral/écrit, Méditerranée. Cette maison d’édition ouvre ses pages à l’universalité des territoires de la langue et de la culture. Elle se veut un lieu de passage d’une rive à l’autre, d’une voix à l’autre, d’une parole à l’autre. Un signe du multiple dans l’écriture et dans les autres formes d’expression qu’elle véhicule : le signe des multiples appartenances dont se revendique la ligne éditoriale de cette maison d’édition. Ces femmes ont voulu rassembler du rêve, de l’imaginaire, de la rencontre mais aussi de la mémoire. En somme quelque chose qui ressemble à un franchissement des frontières, frontières physiques et frontières de l’écriture. |
L’ivrEscQ : Comment vous est venue l’idée de créer une passerelle entre le nord et le sud de la Méditerranée, autrement dit, quelle a été l’urgence commune aux cultures nord-sud pour ressortir ce brassage interculturel ?
Behja Traversac : Nous étions très préoccupées par le sort des femmes d’Algérie pendant les années 1990. Nous nous sommes connues dans une association de solidarité avec les Algériennes. A la fin des années 90 cette association a été dissoute. Nous n’avions plus les mêmes urgences. Nous avons cependant continué le travail engagé au cours de cette période.
L’idée de créer l’édition Chèvre-Feuille étoilée nous est venue autour d’un café entre amies, dans un bistrot de Montpellier. Nous réfléchissions à une revue qui serait un lien tangible non seulement entre la France et l’Algérie, mais entre toutes les rives de la Méditerranée, un véritable lieu de croisement de cultures. Nous étions convaincues que la littérature, parmi toutes les autres formes de culture, demeure celle qui rend le mieux compte de la complexité de nos sociétés.
L : De prestigieux noms ornent votre revue et vous accompagnent, est-ce que parmi ces noms célèbres, d’autres auteurs méconnus ont émergé grâce à votre revue ?
B.T : L’écriture dans la revue Etoiles d’Encre est sans frontières. Elle est la création de femmes de tous horizons culturels et sociaux. Nous publions tous les textes qui nous interpellent par la qualité de l’écriture et par l’intérêt qu’ils suscitent. En effet, nous accueillons des anonymes qui, sans notre maison n’auraient peut-être pas pu être publiées malgré, très souvent, des talents incontestables. Mais nous avons eu la chance d’accueillir aussi des signatures célèbres comme Hélène Cixous, Leïla Sebbar, Alice Cherki et tant d’autres. Cette revue est parrainée par des femmes comme Leïla Sebbar, Malika Mokeddem, Maïssa Bey (co-fondatrice). Je peux préciser que dans chaque numéro, il y a entre 40 et 50 femmes qui s’expriment. 150 à 200 femmes se sont exprimées depuis le début. En fait, le chiffre des contributions est en augmentation. 70 d’entre elles ont leur biographie sur notre site. D’autres nous apportent leurs conseils et leur assistance.
L : Votre revue est trimestrielle, quels sont les thèmes forts qui définissent votre ligne éditoriale ?
B.T : Notre revue est trimestrielle, elle sort deux fois l’année, mais chaque numéro est double. Je parlerai plus de la ligne éditoriale de l’ensemble de la maison qui se nourrit des orientations de nos collections : la fiction, romans et nouvelles (collection Les chants de Nidaba), les essais, histoire, société, actualité, migrations, témoignages, correspondances… (Collection D’un espace, l’autre), Les beaux livres, le théâtre (collection L’écharpe d’Iris). Les thèmes que nous choisissons pour la revue Etoiles d’Encre ressortent parfois, les violences faites aux femmes. Par exemple, le numéro 7/8 «Mots dits, maux tus » évoque les silences des femmes et leurs enfermements. Ou encore le numéro 11/12 « En-corps prisonnières ? » les auteures parlent des multiples prisons, réelles ou symboliques, qu’elles subissent. Mais ce sont des textes qui restent avant tout, littéraires. Bien sûr, nous abordons aussi des thèmes plus «universels», des thèmes philosophiques tels que «Le temps», «Les lieux», «Le secret», Les relations intrafamiliales… (La relation à la mère, au père, dans le couple…) En somme, ces textes sont souvent des histoires dans l’Histoire portées par des écritures littéraires d’une grande tenue. Le choix délibéré de créer une édition destinée aux femmes a pour conséquence logique que nous fassions résonner d’abord et surtout des voix de femmes…
L : N’avez-vous pas peur d’en faire trop ?
B.T : Je ne crois pas qu’on en fasse trop quand il s’agit de l’inégalité et de l’injustice. Vous savez, à titre d’exemple, on m’a dit que pendant le Ramadhan, trois cent femmes ont été maltraitées dans l’espace conjugal, dont certaines gravement. Croyez-vous que c’est trop en faire que d’en parler ? Nous ne sommes pas des féministes radicales, néanmoins, nous sommes convaincues que nous sommes encore bien loin de l’égalité entre les sexes et nous constatons chaque jour, au Sud encore plus qu’au Nord, que l’espace public (au sens anthropologique du terme) qu’occupent les femmes, qui ne leur a pas été offert, mais qu’elles ont conquis par leurs luttes, est constamment menacé.
L : En dehors de l’urgence militante du brassage de cultures, n’avez-vous pas peur d’être dans un cercle étroit, quand on sait que la littérature et les Arts ne se confinent à aucun slogan d’une quelconque appartenance ?
B.T : Je ne crois pas, non. Je dirais au contraire. Comme je vous le disais, nous sommes ouvertes à l’espace méditerranéen d’une part, et d’autre part nous avons choisi de privilégier l’écriture des femmes parce que, notamment dans les pays du Sud, elles n’ont que difficilement et très minoritairement accès à la publication de leurs créations. Ceci étant, il nous est arrivé de publier des oeuvres masculines. A titre d’exemple, le livre «Ma mère» est une somme de récits écrits par des fils sur leur mère. De même, un livre comme « Le voile est-il islamique ? » est un essai de Abdelazziz Kacem qui nous éclaire sur cette question qui a suscité comme vous le savez un grand débat en France. Nous avons aussi publié un livre de José Lenzini sur Aurélie Picard-Tidjani. Mais c’est vrai que nous avons marqué notre territoire au féminin. Notre choix obéit à des circonstances particulières : aujourd’hui, comme hier, les femmes plus que les hommes ont besoin de trouver des lieux d’expression. Mais je vous rassure, il nous arrivera certainement encore d’ouvrir nos portes à des voix masculines
L : Votre but est-il atteint ? Le pari de créer des liens entre les cultures de la Méditerranée est-il gagné ? Cette réalisation est-elle connue en Algérie ?
B.T : Pour la première question, bien sûr que non. C’est un travail sur le temps long comme disait Fernand Braudel. Notre structure est petite ; elle offre seulement une contribution à la connaissance réciproque des différentes cultures qui habitent la Méditerranée. Nous voudrions que cette contribution soit la plus féconde possible et qu’elle jette un pont entre les rives. Un pont littéraire, artistique et un pont amical, fraternel. Nous sommes juste un petit caillou blanc dans un très
compréhension de l’Autre où qu’il soit et quelle que soit son étrangeté. Quant à notre reconnaissance en Algérie, jusqu’à présent nous n’avions pas de diffuseur. Nous nous faisions surtout connaître au travers du SILA et par quelques livres que nous placions chez certains libraires ou au Centre Culturel Français d’Alger et d’Oran. Croyez bien que lorsque l’on n’a pas de structure d’appui dans une ville, ou un pays, cela demande des efforts souvent épuisants. Aujourd’hui, l’intérêt que nous espérons susciter auprès du lectorat algérien et dont nous sentons les signes, nous a déterminées à faire assurer la diffusion dans plusieurs villes d’Algérie avec l’aide d’un distributeur professionnel avec lequel nous venons de conclure un accord.
L : La revue sera-t-elle plus universelle à l’avenir ? Ou alors, le terrain de votre bataille est encore dur à arpenter ?
B.T : Vous savez, diriger une revue est toujours une gageure (vous le savez sûrement puisque vous en dirigez une). Etoiles d’Encre n’a jamais été autre chose qu’universelle ; elle est ouverte au monde et aux littératures du monde. Aux idées qui traversent le monde. Elle ne vit que d’universalité depuis le début. Je n’ai pas encore eu l’occasion de vous le dire, mais elle n’est même plus seulement méditerranéenne puisqu’elle a franchi l’Océan et donné la parole à des Américaines, par exemple. Mais entendons l’universel pas seulement au sens géographique mais aussi au sens de l’universalité des idées qu’elle véhicule et de leur pérennité. Nous tenons énormément à notre ouverture sur le monde et sur son altérité. Et nous voudrions avoir la possibilité de faire circuler toutes ces paroles du monde au travers de la littérature.
L : Le talent ponctue chacune de vos parutions, on y décèle un travail gigantesque. Vous arrive-t-il de douter de vos efforts ?
B.T : Oui, plus d’une fois ! Une maison d’édition est un véritable tyran. Il faut la porter jour et nuit, tous les jours, tous les mois, toute l’année. Malgré cela, nous le faisons passionnément. Cependant, notre point faible est le problème financier. Il nous arrive de constater que nous n’avons pas beaucoup d’argent pour faire tout ce que nous voudrions faire. Nous n’avons pas de doute sur notre capacité de travail, mais c’est vrai que le manque de capitaux est une barrière parfois très difficile à franchir…
L : « Célébration » est le thème de votre prochain numéro, car vous célébrez la dixième année de cette existence, comment se fête cet anniversaire ?
B.T : Pour des raisons de logistique, nous le fêterons les 13 et 14 mars 2010 à Montpellier et non à la date anniversaire en janvier. Ces deux journées seront le résumé de dix ans d’enthousiasmes, de déceptions, de renouveau, de découvertes. Dix ans de constance dans l’effort et l’entêtement, malgré les obstacles, nombreux et toujours surmontés. Dix ans de mots partagés. Dix ans de rencontres. Dix ans d’effervescence. Dix ans d’amitié. Nous avons envie que cette dixième année soit le sceau de ces dix ans d’aventure. Il y aura de la fête donc, des débats, des invités qui viendront d’autres villes de France et d’Algérie. Il y aura des lectures, des récitals poétiques, une pièce de théâtre, un concert de musique, plusieurs expositions… Et bien entendu le numéro d’Etoiles d’Encre qui sera publié pour l’occasion sera entièrement en couleur et accompagné d’un CD de lecture des plus beaux textes publiés depuis dix ans.
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