Entretien avec l’écrivain libyen Kamel Ben Hameda, auteur de La compagnie des Tripolitaines
(Éditions Elyzad, 2011)
«Ces Tripolitaines se créent un espace de vie face l’enfermement»
La Compagnie des Tripolitaines de Kamel Ben Hameda, écrivain libyen vivant aux Pays-Bas, se veut une ode aux femmes, épouses, mères, amantes, qui, malgré les violences multiples dont elles sont victimes, sont pleines de vitalité, se ressourcent dans leur espace de paroles intimes qui échappe à toute soumission. Bien que brimées, battues, violées, interdites d’amour, ces Tripolitaines manifestent un intarissable désir de liberté. Un garçonnet, Hadachinou, le narrateur témoin de leur vie cachée, est subjugué par leur royaume imprenable. Il refuse le monde terne des hommes auquel il est prétendument destiné par le rite de la circoncision qu’il vit comme une mutilation. Toléré par le monde magique des Tripolitaines, amies ou voisines de sa mère, il s’initie avec bonheur à l’échange, la liberté, la tolérance, la solidarité, la joie, le rire. Pour l’enfant, chacune d’elles est un poème, un hymne à la vie dans une société fermée…
L’ivrEscQ : Le lecteur découvre, grâce à un garçonnet, Hadachinou, dans la capitale libyenne, Tripoli, des années soixante, un univers féminin intime de générations de femmes. Comment le jeune narrateur y a-t-il accès ?
Kamel Ben Hameda : : Hadachinou n’est toléré dans le cercle des femmes qu’en tant que présence-absence, il n’est admis que par son statut d’enfant, il ne peut être au plus intime de ces femmes que s’il en est oublié, non existant, quels que soient, par ailleurs, ses émois personnels. Hadachinou n’est pas dans le monde des hommes, il refuse même les jeux virils des garçons de son âge, fuit leurs cris, craint leurs quolibets et fait de longs détours pour éviter leurs terrains d’élection, mais il en mesure le pouvoir à l’image de celui du père omnipotent, omniprésent, quoique cantonné dans l’isolement, au cœur de la maison.
L. : Comment les Tripolitaines, dont la mère du narrateur, vivent-elles leur enfermement ?
K. B. H. : Femmes brimées, battues, soumises à la volonté du père, du mari, de la tribu, victimes de l’oppression, certes, mais toujours si pleines de vitalité. Il ne s’agit pas pour elles de contester l’ordre du mâle, mais de préserver un espace de paroles et de corps libres où elles puissent se ressourcer. Sans doute ces femmes subissent-elles leur sort mais en apparence seulement, par elles-mêmes, elles sont contestation de l’ordre qui les soumet, on pourrait dire, en toute innocence : elles sont la vie face à l’ordre mortifère. Nafissa, dans la sagesse du grand âge, donne forme et sens à leurs propos, elle analyse et pense le statut de la femme.(…)
Suite de l’article dans la version papier
Il n'ya pas de réponses pour le moment.
Laissez un commentaire