J’ai craqué pour ce roman aussi délicieux que surprenant, dans lequel l’auteur nous dépeint avec beaucoup d’humour et de réalisme finalement, une des tragédies de l’humanité : la xénophobie, ou comment, avec une main de maître, esquisser les grands maux de l’ignorance et des préjugés dans la cohabitation multiethnique. C’est dans un immeuble de la place Piazza Vittorio, le quartier d’émigrés par excellence, et l’unique, situé au coeur historique de Rome, que des personnages hauts en couleurs composent l’inévitable tableau : intolérance et incompréhension de tout bord et en tout genre entre individus d’horizons différents.
Qu’ils soient Iranien, Bangladais, Italien du nord ou du sud, Hollandais ou Péruvien, de la concierge, au professeur d’université, du commerçant au jeune étudiant, de la concierge au politique, ils croient tous détenir la fameuse vérité sur qui est l’autre, et ce qu’il vaut. C’est ainsi que, dans une satire mordante, l’auteur nous décrit ce racisme qu’ils portent tous en eux, un racisme patent pour certains, latent pour d’autres, mais bel et bien présent, et qui nourrit irritations, querelles domestiques et mal-être permanent.
Tel un arbre qui cache la forêt, ici, c’est un ascenseur qu’Amara Lakhous choisit pour exacerber les différences, creuser définitivement le fossé entre les locataires et diviser profondément les opinions : « Les habitants n’arrivent pas à se mettre d’accord sur le sujet : il y a ceux qui veulent mettre l’air conditionné en été et le chauffage en hiver, ceux qui proposent d’accrocher un crucifix, la photo du pape et de Padre Pio et ceux qui refusent toutes ces propositions en prétextant qu’elles sont chères et superflues. Bref, cet ascenseur est conduit par plusieurs capitaines. »
Pourtant, un homme va accomplir le miracle de faire converger leur jugement, c’est Amadéo, un homme parfait aux yeux de tous, poli, cultivé, compréhensif et maîtrisant très bien l’italien. Il fait l’unanimité dans tout l’immeuble et même le quartier. Amadéo nous livre, à chaque chapitre, sa version de l’histoire, sa vérité, sa lumière, son ouverture d’esprit, l’éclectisme de ses centres d’intérêt, et son côté magnanime, élucide les mystères et dénoue les incompréhensions les plus burlesques ! « J’ai pensé toute la journée au raciste qui refuse de sourire et je me suis rendu compte qu’Ikbal a fait une importante découverte : le problème du raciste, ce ne sont pas les autres, mais c’est lui-même. »
Mais qui est Amadéo ? Ahmed, un Algérien qu’on soupçonne de l’assassinat d’un locataire, parce qu’il a disparu au moment où le cadavre a été découvert dans l’ascenseur ? Sur fond d’enquête policière et sur un ton mi-polar, mi-comédie italienne, le dénouement de cette histoire est un pied de nez à toutes les certitudes autour de la connaissance de l’autre par un plongeon passionnant au coeur du débat sur l’immigration et l’identité de l’être humain. La fresque dessinée par Amara Lakhous, dans ce roman, est fraîche, saisissante et agitatrice d’interrogations aussi profondes que pertinentes sur notre propre rôle et responsabilité dans cet imbroglio du choc des civilisations qu’il préfère appeler « un malentendu constructif ».
Roman tellement envoûtant qu’il se lit d’un trait, tente la relecture et se consomme sans modération…




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