Lamari avait à peine seize ans lorsque Haddad Djilali lui écrit « Ma n’sitchi » (Je n’ai pas oublié), son premier 45 tours qui le propulsera dans la cour des célébrités de la chanson algérienne. Ce fut effectivement un grand succès. Ma n’sitchi a été enregistrée à la radio, rue Berthezen, en séance de nuit pour les éditions Teppaz. « C’était pour moi la porte ouverte pour d’autres projets, d’autres chansons après la réussite de ma première étape mais le pays était en guerre. Ce n’était plus possible de continuer».
« Arriver à enregistrer un disque à l’âge de 16 ans, ce n’est pas n’importe quoi. J’étais le plus heureux des jeunes de ma génération d’autant que même mon père qui était au départ réfractaire à tout ce qui a trait à une carrière artistique était enfin satisfait de ma réussite. C’était une surprise pour lui et me concernant cela m’a libéré enfin. Il s’est racheté et m’a félicité. Pour ma mère, c’était pour elle, un véritable jour de fête. »
Mohamed Lamari parle encore de son premier succès en rappelant que le 45tours s’est vendu à 35.000 exemplaires, l‘équivalent aujourd’hui du million d’exemplaires aime-t-il à préciser. « Le succès a dépassé les frontières et j’ai été contacté par les éditions Teppaz pour un enregistrement. J’avais répondu que les éditions Dounia m’offrait un meilleur prix (5000f). Boualem Titiche et Haddad El Djillali représentaient la Maison Dounia en Algérie.
Lamari enregistre en 1957 pour Dounia trois 45 tours. Six chansons dont Semoura qui confirmera son succès de l’année précédente avec Ma Nsitchi. Sur la lancée, la même année, il fit à la radio, sa première émission publique au Colisée avec l’orchestre de Marcel Ayala. Il participe aussi à la première émission de la télévision ; enregistrée à Constantine aux côtés de Pétula Clark.
Sa fulgurante ascension fut pour ainsi dire stoppée par la Bataille d’Alger.
L’enfant de la Casbah ne pouvait qu’être un acteur de cette guerre menée contre le colonisateur. La Casbah, bastion de la révolution algérienne, la Casbah des Abane Ramdane, Larbi Ben M’hidi, Rabah Bitat, Yacef Saadi, Ali la pointe, Hassiba Bouali, Djamila Bouhired livre sa Bataille d’Alger et des attentats à la bombe créent un climat de terreur, de guerre. Lamari ne devait pas se présenter seul comme un simple chanteur mais en tant que célébrité de la chanson, donc représenté par son impresario. C’était bien sûr à Said Hilmi se mettre dans la peau du manager de la star du jour.
Il s’agissait bien de guerre de libération et non « Evénements ». La Casbah assiégée par les paras, la Casbah cerclée de barbelés résiste. Ses entrées et ses sorties sont surveillées, ses habitants systématiquement soumis au régime des fouilles corporelles mais la résistance ne faillit pas.
Mohamed Lamari, l’enfant de la Casbah apportera aussi sa contribution à la révolution comme nombre des Algérien. Il sera guetteur avant qu’un traître ne le dénonce. Lamari sera arrêté lors d’une fouille à la Casbah. Il passe un premier barrage avant que son signalement soit donné pour être braqué dans un deuxième contrôle et emmené au centre de tri de Ben Aknoun.
Mohamed parle très peu de cette période se contentant de dire que c’était dur mais qu’il ne fallait pas flancher au cours des rudes interrogatoires où la violence et la torture étaient systématiques. Mohamed Lamari sera emprisonné durant une année et demi, de août 1957 à décembre1958 aux camps de Ben Aknoun et de Beni Messous.
Par la suite Mohamed Lamari se verra interdire de toute participation aux émissions en langues arabe et kabyle de la radiodiffusion et télévision française. Dans une correspondance signée par le chef des services artistiques des ELAC (émissions en langues arabe et kabyle), il est écrit qu’ « à compter du 27 avril 1961, Mr Mohamed Lamari est suspendu de toutes les émissions, tant radiophoniques que télévisées ». Dans les faits Lamari n’a plus remis les pieds à la radio et à la télévision depuis sa sortie de prison.
Lamari quitte Alger pour la capitale de l’Ouest du pays où il a repris ses activités dès sa libération.
C’est à Oran qu’il fera connaissance de sa future femme, une Tlemcénienne. Lamari aime à dire que « la révolution algérienne m’a donné ma femme.
Mohamed Lamari s’est marié le 17 avril 1959 à Alger.
A la même période pratiquement, Lamari est à l’affiche en matinée et en soirée, à l’Opéra d’Oran. Dans son ouvrage « Le carrefour du destin », Mohamed Hilmi rapporte qu’ « un nombreux public assistait à la représentation de la pièce « Mariage par téléphone, écrite par Mahieddine Bachtarzi, interprétée par un merveilleux duo : Keltoum et Rouiched.
La partie concert était assurée par Keltoum, Abderrahmane Azziz, Reinette Daoud, Mohamed Lamari et Mohamed Marocain, auteur-compositeur qui a eu ses galants en prenant la direction artistique du plus grand music-hall d’Europe, l’Olympia, débarqua à Alger à la découverte de nouvelles voix. La nouvelle a fait rapidement le tour du milieu de la chanson. Des auditions sont programmées au niveau de l’hôtel Aletti. Coquatrix a vu défilé un nombre important de chanteurs. Lamari avec son compère Said Hilmi ont voulu sortir le grand jeu. Lamari ne devait pas se présenter seul comme un simple chanteur mais en tant que célébrité de la chanson, donc représenté par son impresario. C’était bien sûr à Said Hilmi se mettre dans la peau du manager de la star du jour. Il se présente sans Lamari. Déconcerté Coquatrix demande Lamari pour l’auditionner. « Il arrivera dans un petit moment » lui répond Hilmi. Moments de gêne et finalement Lamari fait son apparition comme convenu, avec un retard d’un quart d’heure.
« Alors monsieur Lamari, on fait attendre ainsi Bruno Coquatrix ! » Lamari bafouille quelques bribes d’explication et fera rire Coquatrix. « Je vous pardonne car vous paraissez fort sympathique. »
L’audition peut enfin commencer et Lamari interprétera Ma n’sitchi et Semoura. « Il était satisfait » confie Lamari. Puis s’adressant à Said Hilmi, Coquatrix lui fera part de son intention d’engager Lamari pour passer à l’Olympia en première partie des concerts d’Edith Piaf. « Dès mon retour à Paris, je vais vous envoyer un contrat d’engagement. » Lamari sans hésiter donnera son accord.
De retour à Oran, il fait part à son ami de son projet, de son nouveau contrat à l’Olympia. Par précaution, son ami lui conseillera de lui donner le temps de contacter ses responsables du groupe de choc dont il fait partie à Oran. Quelques jours plus tard, il contacte affolé son ami Mohamed Lamari. La consigne est claire. « Annule le contrat. Tu penseras à ta carrière une fois l’indépendance acquise. »
« Mes responsables m’ont averti, s’il chante à l’Olympia, la Fédération de France va l’exécuter. »
Mohamed Lamari abandonne l’idée de partir en France et ira se réfugier à Blida jusqu’à à l’indépendance.
Extrait de Lamari, le Ténor de la Casbah (Alger, éditions Rafar, 2012)
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