Dans l’ouvrage Tlemcen, la Zyanide, le professeur Djilali Sari soumet à son regard critique et scientifique des archives de première main relatives à l’Etat fondé par Yaghmoracen Ibn Zayyân en 1235. Cette analyse de sources épigraphiques offre au lecteur des données fondamentales tant politiques, économiques que socioculturelles du contexte historique de la cité médiévale. Dans cet entretien, il parle des aspects méthodologiques de l’écriture de cet essai.
L’ivrEscQ : Dans l’introduction et à propos des sources et documents historiques (ils ont été privilégiés en réaction au recours, effrénés car rentables, de rééditions intégrales, sans effort de réactualisation). En quoi consiste ce travail de réactualisation en général et pour Tlemcen en particulier ?
Djilali Sari : Nombre de publications remontant à la deuxième moitié du XIXème siècle ont été proposées à la Commission du livre (ministère de la Culture) en vue de leur réédition dans le cadre de l’année 2011. Sans aucune critique. D’où, dans la foulée, promptement, l’élaboration de mon essai s’est faite à partir essentiellement de l’épigraphie et des sources littéraires et diplomatiques.
L. : Deux périodes ont marqué le gouvernorat de Abou Yahia Yaghmoracen de la ville de Tlemcen d’abord rattachée à Marrakech puis ayant affirmé son indépendance. Quels ont été les changements notables du passage des Almoravides aux Almohades et l’indépendance de la cité ?
D.S. : À la lumière de sa longue expérience, le gouverneur de Tlemcen sous les Almohades, Yaghmoracen a su tirer les enseignements en parvenant à se faire reconnaître indépendant des Almohades, bel et bien la dislocation du grand empire étant devenue inévitable, le principe religieux originel devenant de plus en plus insupportable… indépendamment de la cuisante défaite de Las de Tolosa (Andalousie) en 1212. En fait, des Almoravides aux Almohades, Tlemcen s’est développée et affirmée, même si l’avènement de ces derniers s’est soldé par des destructions.
L. : Vous relevez dans Les fondements géo-historiques de la capitale abdelwadite : « Yaghmoracen avait nettement conscience aussi bien de la vulnérabilité de sa capitale et encore de la très difficile cohabitation avec ses voisins immédiats… » Comment expliquer cette vulnérabilité et les fragilités de ses frontières ?
D.S. : Le visionnaire et puissant Yaghmoracen était particulièrement sensible aux deux phénomènes redoutables qu’offrait sa capitale en s’épuisant à la fortifier et à guerroyer, mais aussi en mettant en garde ses héritiers contre toute attaque inappropriée contre les voisins aussi bien de l’ Est que de l’ Ouest (lire le testament à son héritier).
L. : Vous notez que la ville possédait des ressources hydriques très riches. Etait-elle ce faisant à la pointe de l’agriculture ? Sur quelle économie s’est fondé Yaghmoracen ? L’eau ? L’Or ?
D.S. : Indéniablement, les ressources naturelles favorisant le développement agricole sont évidentes (eaux pérennes, sols) d’où des productions à même d’assurer à la subsistance des populations avec des surplus pour la soudure lors des années de sécheresse et surtout pour l’entretien des troupes guerroyantes à l’Est et à l’ Ouest, voire au Sud. En conséquence, point d’exportations de produits agricoles, à l’exception de produits du pastoralisme. Quant à l’or, il a joué un rôle important dans le rayonnement à la fois urbain de la capitale et par là même du royaume.
L. : Vous commentez dans Tlemcen la Zyanide, des documents écrits mettant en exergue la diplomatie de Yaghmoracen et ses liens avec l’Europe, d’une part, et, d’autre part, vous consacrez un passage à la Grande Bibliothèque de la cité. Est-ce un héritage des princes almoravides ou au contraire un trait de modernité du règne zyanide ?
D.S. : Fondateurs de Tlemcen, les Almoravides, venus du fin fond du désert, sont parvenus rapidement à s’urbaniser. Quant à la Grande Bibliothèque, elle correspond bien à l’âge d’or des Zyanides, par excellence le XIVème siècle, celui des grandes réalisations et du rayonnement culturel et scientifique.
L. : Dans les sources littéraires, vous offrez aux lecteurs des poèmes de l’époque à la gloire de Tlemcen, de sa réputation, de la beauté de ses femmes. Qu’en est-il des chants andalous ? Etaient-ils proscrits par Yaghmoracen du moins en période almohade menée par l’intraitable Ibn Toumert ?
D.S. : Si Yaghmoracen est demeuré frustré et rigoureux, ses successeurs étaient fastueux.
L. : Et qu’en est-il des sources référant au passé islamique, au rôle de la religion dans la cité ?
D.S. : Les sources sont diverses, outre celles exploitées, il y a lieu de tenir compte des monuments, de l’important parc archéologique et manuscrits gardés jalousement à travers les principaux entrepôts de l’Occident. S’agissant du rôle dans la région, l’on sonde en particulier au littoral, aux deux ports Honaine et Oran, l’arrière-pays steppique et ses ressources liées au pastoralisme. De même le désert à la suite de l’aménagement de la route de l’or par les frères El Maqquari.
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je suis ravis de notre histoire
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