L’ivrEscQ : Le récit La Maquisarde a eu un retentissement médiatique à sa sortie, quelques années en arrière – éditions Grasset & Sédia–. Vous l’adaptez en un long-métrage. Comment passe-t-on de l’écrit d’une trame historique au tournage d’un film, en d’autres termes, du costume de l’autrice à celui de la réalisatrice ?
Nora Hamdi : Oui, le livre avait bien été accueilli et pour le film, pour des questions de budget, j’ai complétement repensé le film en prenant la partie du livre sur l’enfermement des femmes ; car cela était intéressant de me concentrer sur le huis clos, et sur la psychologie des femmes dans l’emprisonnement après qu’elles aient été très actives dans le combat. Cela permettait de montrer leurs forces, leurs idéologies, leurs liens entre elles devant la mort et leurs espoirs après la guerre, sur la liberté et les droits des femmes.
L. : Cet ouvrage rend hommage aux femmes résistantes, votre mère précisément, en période de guerre, comment avez-vous vécu le récit de votre mère en écriture, plus tard en tournage ? Comment vit l’héritière de cette histoire douloureuse ce grand challenge ?
N. H. : C’est justement à travers le récit relaté par bribes, par ma mère, qui m’a fait prendre conscience que cette génération de femmes ont été plus fortes que nous et cela apporte une manière de repenser la position de la femme, de son statut, de l’égalité homme / femme face au même combat, de leur courage, et surtout de rappeler qu’elles doivent être indépendantes au même titre que le pays qu’il l’ait devenues, grâce aussi à elles. D’avoir été inspirée par les souvenirs de ma mère m’a permis d’en être héritière, moi comme celles de ma génération et toutes celles d’après.
L. : Les rôles de Naila algérienne et Suzanne française transcendent la cruauté des hommes. Un aspect humanitaire ressort de votre travail malgré la torture et les exactions que les Algérien(ne)s ont vécues de l’armée française dans votre film. Un pari ?
N. H. : C’était en effet une longue réflexion que j’ai eue sur le sujet de la torture et j’ai réalisé que ne pas la montrer mais la suggérer était plus forte, et cela permettait de l’imaginer, car les images des tortures sont dans la conscience collective. Nous vivons dans un monde où les images de violence sont partout, nous sommes habitués au point de ne plus être choqué. Mais de l’imaginer en se mettant à la place des protagonistes était plus parlant pour moi. Cette sorte de pari a été payant car on parle beaucoup de ces scènes de tortures qu’on imagine insupportable. L’imaginaire permet de remettre de l’humanité, de l’émotion et de la sensation.
L. : Après avoir visionné votre film, on constate ce supplément que la cinéaste ressort avec élégance, délicatesse et talent à faire pleurer les montagnes de Kabylie. Un autre challenge ?
N. H. : C’était ma petite bataille d’aborder la Kabylie et de faire le choix des dialogues en kabyle. Et, d’avoir récupérée des images d’archives m’a rappelée cette belle région qui une Histoire forte avec ce passé. Par ailleurs, afin d’être cohérente avec le récit de ma mère et dans la mesure ou l’histoire se passait dans la Kabylie, il m’était nécessaire de ne pas trahir cette réalité.
L. : Vous avez rompu l’omerta d’une époque quasi aphasique à l’égard de la gent féminine dans l’histoire de la guerre d’Algérie. Vous ressortez les grandes Oubliées de l’histoire, les Anonymes. Comment a été accueilli votre travail de l’écriture d’abord, du tournage ensuite, par les femmes de votre entourage, par votre mère ? Pensez-vous avoir libéré la parole cadenassée par l’écrit et le cinéma ?
N. H. : C’était un silence trop criant pour moi, l’impression que la gent féminine souffrait d’asthme, d’un manque d’oxygène de ne pas pouvoir s’exprimer, toujours se taire devant la gent masculine sur les sujets de la guerre, comme si elles n’étaient pas concernées, ce qui est faux. A des mêmes niveaux et différents, elles étaient égales dans leur combat. Pour l’écriture, faire le choix de l’enfermement des femmes était stratégique, car elles étaient enfermées dans la parole non libérée. Je pense avoir contribué à mon niveau à mettre de la lumière sur ce sujet, l’écrit, le cinéma sert à apprendre, découvrir, voir, montrer. Lire c’est déjà sortir du silence et montrer les images à tout le monde c’est rendre visible les invisibles. L’image est une force.
L. : La tentative de réconciliation mémorielle franco-algérienne est d’actualité, votre film ouvre la brèche sur ce temps maculé de douleurs enfouies. Une belle étoile pour le film ?
N. H. : Si ce film permet une réconciliation de manière positive, ce serait une belle ouverture sur le futur, car ce passé est lié à l’avenir. Avec le recul, parler des douleurs enfouies, voir occultés est nécessaire, car il ne faut pas créer de l’amertume, des aigreurs et surtout, des fantasmes malsains. Ce sujet revient dans l’actualité, c’est déjà une avancé, mais cela dépend de quelle manière on manipule le sujet, si c’est à des fins politiques négatives avec des négationnistes, il faut être vigilent avec certains qui veulent refaire l’Histoire sans tenir compte des faits historiques.
L. : Comment s’est déroulé l’aspect financier du film ? Le casting ?
N. H. : Très compliqué à cause du sujet. Pourtant, au début, j’avais un producteur qui paix à son âme, m’avait aidé, j’avais même réuni un casting, avec Rachida Brakni et Emanuelle Béart, mais je n’ai pas eu le budjet. Alors j’ai décidé de l’autoproduire sans budget avec des partenariats gracieux. J’ai lancé le casting sur internet, sur les réseaux et les actrices et acteurs se sont présentés pour le sujet du film. Ils sont tous inconnus, sauf l’acteur Rachid Yous. Mais le reste était débutant, certains n’avaient jamais fait de cinéma, j’ai fait beaucoup de répétition, pour les personnages principaux qui incarnent la partie algérienne, j’ai dû prendre un coatch pour la langue Kabyle car la plupart ne parlaient pas la langue de leurs origines. J’ai voulu leur donner leur chance, comme avec la plupart de l’équipe technique qui débutait où sans expérience de long métrage.
L. : Certains soulignent qu’il est temps que l’Histoire se sépare de l’idéologie de tous bords et surtout de la politique laissant place à l’Histoire. Etes-vous dans cette visée par votre travail d’écrivaine et de cinéaste ?
N. H. : Je suis assez d’accord avec cette idée, car c’est l’Histoire, dans la mesure ou elle est respectée, cela permettra de se baser sur des faits historiques. Il est important d’avoir des témoignages des personnes qui ont vécu cette guerre, aller sur les lieux ou les drames se sont déroulés, comme je l’ai fait en retrouvant le camp de concentration « dit camp de regroupement » à l’époque, pour retrouver ou était enfermé ma mère et ma grand-mère à Tadmait, dans la Kabylie. Donc, étant passée par ce travail en tant qu’écrivaine et cinéaste, je m’inscris dans cette démarche.
L. : Est-ce que le film « La Maquisarde » sera dans les salles de cinéma en Algérie ? Autres pays ?
N. H. : Les premiers festivals étaient en Algérie, à Bejaïa et Saïda, puis il est sorti en France, en Tunisie, et en Corse. J’espère qu’après la crise sanitaire, les salles en Algérie vont le projeter. Mais c’est déjà une bonne chose qu’il soit en VOD sur la plateforme FILMO TV, afin de les algérien.nes voient le film en steaming.
L. : En conclusion, en ce temps de pandémie (confinement, distanciation…), comment se porte le cinéma ?
N. H. : C’est une catastrophe pour le milieu du cinéma, beaucoup ont mis la clé sous la porte, beaucoup sont au chômage, mais beaucoup ne le touchent même pas. Comme tous, j’attends les jours heureux.
(La Rédaction)
La Biographie de Nora Hamdi
Née à Argenteuil dans une famille d’origine Algérienne, Nora Hamdi s’installe à Paris pour suivre des études d’arts plastiques et expérimente le mouvement artistique du Graffiti Art et la peinture où elle expose en galerie entre Paris et Londres, pendant six ans… Ensuite elle écrit et réalise deux courts métrages, co-signe avec Virginie Despentes la bande dessinée, Trois Etoiles puis écrit son premier roman Des poupées et des anges, aux Editions Au Diable Vauvert. Elle devient lauréate du prix Yves Navarre pour ce premier roman. En 2005 elle écrit Plaqué or, aux Editions Au Diable Vauvert, puis écrit la nouvelle, La Désinvolture du prince charmant (Ed. Flammarion), et Les Filles de Pissevin pour le théâtre Kaléidoscope à Nîmes. Après être jury au festival du court métrage, elle adapte et réalise son roman Des poupées et des anges au cinéma. Elle est lauréate du prix Les enfants terribles, et pour ce premier rôle au cinéma, l’actrice Leïla Bekhti est prénommée au césar 2009 et également nominée avec l’actrice Karina Testa pour le Prix Lumière 2009. Elle revient à l’écriture et publie Les Enlacés, puis en 2011 elle sort son quatrième roman La Couleur dans les mains, elle est finaliste du prix Lilas. Elle travaille ensuite sur son roman historique La Maquisarde, inspiré du témoignage de sa mère pendant la guerre d’Algérie et de la France anticoloniale. Elle va sur les traces de sa mère en Algérie et filme l’ancien camp de concentration et son ancien village ratissé. Son cinquième livre La Maquisarde sort aux Editions Grasset. Le roman historique donne lieu à plusieurs colloques autours du sujet des femmes dans la guerre. Le roman La Maquisarde sort en Algérie aux Editions Sedia. En 2018, elle réalise le film La Maquisarde, avec La Nouvelle Productions et de 2019 à 2020, le film est sélectionné à plusieurs festivals : Festival Rencontre Cinématographique de Bejaïa / Algérie” – Festival Littérature et du Cinéma de la femme / Saîda / Algérie – Festival Des lumières d’Afrique / Besançon / France – Festival international du film Amazigh / Metz / France – Festival Cinéma de la Paix ? / Tunis / Tunisis – Festival Arte Mare film méditerranéen de Bastia / Corse – Festival des cinémas Arabes d’hier et d’aujourd’hui à Ajaccio / Corse. Puis elle est jury à Med in scénario 2020 / France 2 / en Corse. Festival Clin d’œil cinéma 5ème semaine algérienne en Gironde / France. Le film La Maquisarde sort dans les salles de cinéma le 16 septembre 2020. Le film bien accueilli par la Presse, part en tournée en France et en Corse dans les salles de cinéma où Nora Hamdi fait des rencontres débats avec le public, le film La Maquisarde est également éligible à l’Académie des Cesar 2021et désormais en VOD sur FILMO TV. (Réalisée par l’écrivaine cinéaste Nora Hamdi)
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