Lecture pour tous : à notre sommaire, ce soir : « Le récit d’une conquête, la conquête de la couleur » par Rosé Morel et Jean René. (…) et nous commençons par un récit de Kateb Yacine, Nedjma…
Pierre Desgraupes : Eh bien ! Ce livre, qui paraît aux Éditions du Seuil, est le premier ouvrage d’un jeune écrivain algérien, du Constantinois exactement, Kateb Yacine. C’est un livre qui, je crois, d’emblée, vient s’inscrire dans une série composée déjà de quelques livres dont la plupart ont paru aux Éditions du Seuil, et qui, à eux tous, tracent déjà certains axes d’une littérature proprement algérienne. Et, de ce fait, il revêt de nos jours d’une importance particulière, qui vient s’ajouter à celle que lui donne déjà sa valeur littéraire comme c’était le cas, d’ailleurs, pour la plupart des ouvrages précédents. Je vais vous demander d’abord, Kateb Yacine, non pas de ne pas nous raconter l’histoire, cela serait peut-être un peu compliqué, mais de nous dire de qui il s’agit dans ce livre, et d’abord qui est Nedjma?
Kateb Yacine : Nedjma, c’est l’héroïne du roman, qui d’ailleurs… enfin, ne domine pas tout à fait la scène, qui reste à l’arrière plan. C’est d’ailleurs le personnage symbolique de la femme orientale, qui est toujours obscure et qui est toujours présente également. Nedjma, c’est aussi une forme qui se profile, qui est à la fois la femme, le pays, l’ombre où se débattent les personnages […] principaux du roman, qui sont quatre jeunes Algériens dont je raconte les aventures et mésaventures.
Évidemment, ce n’est pas si simple parce qu’il y a tout un monde autour d’eux et ils contribuent à façonner ce monde, qui est encore incertain. Ils contribuent à façonner cette
Algérie qui est actuellement noyée dans une espèce d’opacité, l’opacité d’un pays qui est en train de naître et dont les acteurs projettent des lueurs et finalement montrent le visage.
P. D. : oui, On peut dire qu’au-delà des aventures et mésaventures de ces quatre principaux personnages, ce que vous avez cherché sans doute, c’est d’exprimer ce que l’on pourrait appeler l’âme de l’Algérie…
K. Y. : Oui, précisément, parce que la littérature algérienne, dans la mesure où elle commence à être connue, pourrait avoir pour rôle de montrer ce qu’un pays difficilement explicable, un pays qui est actuellement… qui émerge de l’actualité mais dont les visages sont imprécis.
Il s’agissait pour moi au départ de montrer ce qu’était ce pays, non pas à partir d’une étude sociologique stricte mais à partir de l’âme de ses personnages, qui finalement, forment l’âme du pays.
P. D. : Tout à heure, j’ai fait allusion à l’existence d’une littérature algérienne. On peut dire d’ailleurs que c’est un phénomène extrêmement récent, qui a, combien, 6 ans, 7 ans, au plus une dizaine d’années ?
K. Y. : C’est ça, c’est assez compliqué. Sans vouloir remonter tout à fait aux sources, on peut dire qu’on a commencé en France à parler de littérature algérienne à partir de l’existence de ce qu’on appelait « L’école d’Alger ».
P. D. : Qui était composée d’écrivains français et européens.
K. Y. : C’est ça ! Français et Européens, dont le chef de fil à ce moment-là était Camus. Mais il y a eu déjà, à l’époque, un représentant du peuple arabo-berbère, surtout berbère, c’était Jean Amrouche qui a commencé à faire connaître le pays berbère par des poèmes, des chants traduits. Mais dans l’ensemble, c’étaient des écrivains européens et français dont les œuvres rendaient déjà un son étrange, un son qui tout en s’intégrant à la symphonie des lettres françaises avait une originalité, commençait à faire pressentir une originalité.
P. D. : Il faut citer en dehors d’Amrouche, qui est aussi notre confrère à la radio, puis Camus, Audisio, Roblès…
K. Y. : Oui, et depuis quelques années, parallèlement au mouvement arabo-berbère, au mouvement des gens qui représentaient les grandes masses du pays, et les gens qui jusqu’ici étaient à peu près ignorés, dont la voix n’était encore parvenue à s’exprimer. Il y a aussi des jeunes écrivains européens qui commencent à exprimer une communauté algérienne, je veux parler par exemple de Sénac, qui a fait, qui s’est occupé de plusieurs revues, qui est un jeune écrivain dont les œuvres ont une grande importance pour nous. Il y a aussi Moussy, qui a tenté une histoire de ce que l’on appelle les pionniers d’Algérie, les premiers colons, mais qui les a dégagés de leur gangue faussement politique ou légendaire, qui leur a rendus leur visage d’homme, en les intégrant dans cette communauté précisément (…)
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