L’ivrEscQ : Éric Michel, on se souvient d’Algérie ! Algérie !, votre roman fleuve sur la Guerre d’Algérie dont la particularité tient, entre autres, à ce qu’il prenne le point de vue des indépendantistes et couvre la quasi totalité du conflit jusqu’aux massacres du 17 octobre 1961.
Pacifique, votre dernier roman paru en mars 2012, aborde sur fond d’amitié trois révolutions souvent méconnues qui ont eu lieu à la fin du XIXème siècle : l’insurrection kabyle de 1871, appelée encore « la révolte des Mokrani », la Commune de Paris la même année, et la révolte kanake dite d’Ataï, de 1878 en Nouvelle Calédonie. Pourquoi ce choix ?
Éric Michel : Ces trois révolutions ont en commun d’avoir opposé des hommes de culture très différents à un seul et même adversaire : le Gouvernement français et, dans le cas des révoltes kabyles et kanakes, aux forces coloniales françaises. À cette congruence tout à fait intéressante s’ajoutait la proximité temporelle d’événements propres à engager, sur le mode romanesque, une réflexion plus profonde sur les racines du mal qu’a constitué la colonisation française. Pacifique est, en ce sens, un approfondissement du sujet clé qui traverse Algérie ! Algérie ! Sûrement est-ce un tropisme personnel ! Je suis attiré par les causes justes… et perdues… Les perdants de l’histoire sont chez moi vainqueurs en littérature, maigre compensation qui perpétue au moins la mémoire d’hommes et de femmes qui me fascinent par leur générosité ou parce qu’ils sont allés au bout de leur engagement.
L. : De fait, trois événements insignifiants de l’histoire si l’on s’en tient à la place qu’ils occupent dans la mémoire collective ou dans les manuels scolaires…
É. M. : Vous avez raison. Dis-moi ce que tu montres, je te dirai ce que tu caches. Dis-moi ce que tu oublies, je te dirai quelle société tu entends construire. En raturant de la mémoire collective les sursauts révolutionnaires, l’intelligentsia vise bien évidemment « l’édu-castration » de la population et poursuit des buts éminemment politiques.
Nul ne se présente devant un notaire pour réclamer un héritage sens prendre et l’avoir, et les dettes. Parce que j’estime mon pays pour nombre d’épisodes historiques et de valeurs, je refuse de laisser cet héritage culturel en pâture aux révisionnistes de tous poils qui veulent faire croire que la colonisation s’est réalisée, hormis quelques épisodes malencontreux, pacifiquement et au bénéfice des « indigènes ». C’est un mensonge éhonté et ceux qui, comme moi s’opposent à ce discours, ne sont pas, n’en déplaise à nos détracteurs, des gens haineux ou traîtres à leur patrie. À l’époque où s’élabore, sous la pression des députés de la troisième République, la « République impériale » selon l’expression d’Olivier Le Cour Grandmaison, les trois révolutions auxquelles le roman fait écho ont valeur de laboratoire avec ce que le terme recouvre d’expériences à grande échelle sur le vivant. Bugeaud, le grand chantre et le bras armé de la colonisation en Algérie a ce mot : « ense et aratro ». Par l’épée et la charrue. L’impératif catégorique de la colonisation, c’est l’extension de l’espace vital, la géniale et moderne idée de porter la guerre à l’extérieur pour préserver le territoire national, la génération de nouvelles richesses pour engraisser la métropole, à n’importe quel prix.
L. : Les motifs de la colonisation ne sont donc pas, d’abord culturels ?
É. M. : Certainement pas ! Ils sont économiques. Au commencement, il n’y a pas de « choc des civilisations » (…)
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vous avez vu presque juste.
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