Né au Vietnam en 1955, Dô Khiêm alias Do Kh., vit entre Paris et la Californie après Beyrouth ou il s’est marié. Poète, romancier, essayiste et scénariste attiré par le cinéma documentaire, il compte parmi les écrivains les plus novateurs de la littérature vietnamienne actuelle.
Khmer Boléro est son premier roman écrit en français. Anciens amants à Paris, Kim et Nam se retrouvent par hasard à Bangkok au moment du Songkran, la fête qui célèbre l’arrivée de la saison des pluies. Le couple tente de renouer, par les paroles autant que par les caresses, mais la mousson se fait désirer. Ils décident de partir à sa rencontre, vers l’Est, qui est aussi la direction de leurs pays d’origine : le Vietnam. En compagnie de phailin, une jeune fille de la haute société thaï, s’engage alors un road-trip à travers le nouveau Cambodge, au gré des rencontres et au rythme des boléros asiatiques, qui s’achèvent à Bavet, post frontière piqué de casinos et de Karaoké improbable. Et la météo reste capricieuse… Humour cru et amour sexe, voyage et exil forment ici un cocktail détonant
QUATORZE
Les après-midi au Vietnam vers la même période de l’année étaient horrible. Nam se souvenait de cette chaleur avec laquelle on faisait quasiment de la lutte gréco-romaine. Elle était physique, en chair et en os, vous serrait dans ses bras, et vous collait à l’épiderme, il avait alors dix ans ou neuf. Il était à Thanh Tuy Ha sur une terrasse qui donnait sur le fleuve Saïgon dont même les eaux en cette saison avaient renoncé à rafraîchir ne serait ce que les berges.
La plantation d’hévéas était à l’ancienne, sortie tout droit des décors du film Indochine avec l’ombre de la Deneuve en Talbot-Delahaye si ce n’est en calèche.
La planteurs français savaient vivre. Ils avaient érigé cette maison tout en bois sur pilotis, rondelles genre cabane au Canada (!) et personnes ajourées aux fenêtres, avec cette interminable terrasse couverte qui semblait s’étirer jusqu’à l’eau. L’indépendance du pays en 1954 avait ajouté le confort moderne une piscine qui ne donnait pas envie de s’y ébattre tant l’eau prisonnière était tiède, de l’électricité aussi bien sûr, mais la climatisation dépendait des horaires du générateur de l’usine à traiter le latex au bout du chemin. On ne lançait pas le grand groupe électrogène de l’ensemble quand l’usine était au repos, les fins de semaine et en dehors de la saison des récoltes du produit, c’est-à-dire pendant les mois oisifs de l’année. Le petit générateur de cette villa Karen Blixen quant à lui peinait déjà pour alimenter l’éclairage et les ventilateurs de plafond, c’était out of Arica à trente kilomètre de Saïgon. L’existence de petit memsahib était agréable pour son exotisme, trente Kilomètres en dehors de la capital équivalaient à d’autant d’années de retour en arrière.
Nam s’était mal réveillé de la sieste comme à l’habitude dans ces conditions météorologiques, avec un mal incroyable de tête et la sudation qu’il combattait avec des bouteilles d’orangeade birlley’s en 25 centilitres. L’après-midi était avancé, la nuit tombait vite en ces latitudes, et d’ordinaire l’on restait groggy pendant les quelques heures qui restaient de la journée avant le répit de la nuit. Immobilisé, terrassé, plaqué au sol par cette chaleur sans pitié.
Et puis, au paroxysme de cette condition, comme si le ciel lui-même n’en pouvait plus, d’un seul coup vint la saison des pluies. Le fleuve dansait alors sous l’averse sur toute sa largeur, chavirait au rythme de la musique des gouttes qui fouettaient la végétation et tambourinaient les habitations. Les enfants sortaient courir sur le seul chemin qui était goudronné comme délivrés du maléfice de la saison sèche, les enfants des employés de plantation car à Nam, conventions obligent, cela était interdit. Pour lui c’était la douche tiède à l’intérieur avec l’eau qui venait des citernes surchauffées avec sa coloration et son petit goût sur les lèvres de rouille métallique. La salle de bains, la vraie, était à l’extérieur et le goudron de la route qui lui tenait lieu de surface carrelée antidérapante. Brûlant jusqu’à faire fondre les sandales en mauvais plastique. Et la jungle d’ordinaire taciturne se mettait à chanter sous la pluie, bravo à l’orchestre et à la chorale HOURRA l’Oural !
Même la guerre, interdite par tant de puissance, s’arrêtait, les blindés ne pouvaient rien contre la pluie, leur protection d’acier ne suffisait plus et ventre dans la boue ils restaient là vautrés. Les avions et autres coléoptères restaient à l’abri et l’on s’en tenait pour la forme à des échanges polis d’artillerie dont même le bruit d’ordinaire menaçant perdait là de sa superbe, comme étouffé, noyé sous le déluge et l’humidité. Les fantassins des deux bords étaient fatigués. Chef, est-ce que l’on peut rester là à se balancer dans les hamacks de bivouac avec la musique du transistor ?
Et cela durait pour quatre mois entiers.
À vrai dire, comme de tout, l’on finira par s’en lasser. Mais l’arrivée de la mousson était d’ordinaire accueillie comme une libération salvatrice, les premières pluies avec leurs lanières comme un fantasme masochiste soft comblé. Fais-moi mal ! Plus fort ! Encore ! Je vous salue Dominatrix ! Et les éléments dans leur grande mansuétude, de généreusement en rajouter.
La petite averse matinale à Pattaya s’était arrêtée.
À peine une petite gifle en guise d’apéritif, un petit bonjour de loin et à regret alors que Nam croyait la mousson déjà revêtue de ses cuissardes en latex, martinet à la main et képi de kapo sur sa chevelure de jais.
– C’est décevant, dit-il. Il a plu une demi-heure à Bangkok avant-hier. Il a plu une demi-heure aujourd’hui à Pattaya. C’est une maîtresse qui se fait désirer.
– Tu veux rester quelques jours de plus ? proposa Kim. On a tout le temps. Même en ta compagnie, je n’ai pas envie de m’enfermer à Sukhumvit comme dans un tango aride. Phailine était tout sourire. Elle va être aussi de la partie, pensa Nam. Il n’allait pas faire le difficile dans ce cas. Une balade en bateau jusqu’à Koh Lan, la plage cachée où l’on pouvait courir avec ses testicules à l’air et les entendre distinctement s’entrechoquer. Peut-être que Nit aurait une visite surprise de sa part ce soir au bar, tiens un nouvel habitué qui revenait sur ses pas. Seulement, cette fois-ci elle pourrait admirer «l’épouse», la vedette de Taïwan de prés, et avec celle-ci, la vedette de publicité japonaise pour teinture de cheveux qui était Phailin. Mais il eut une autre idée.
– On a quelques jours et la mousson tarde à venir. Si la montagne ne va pas à Mahomet… Nous irons vers l’Est, et surprendre la mousson avant qu’elle n’arrive jusqu’ici. Camarades, on doit prendre l’initiative tactique.
– À l’Est ? demanda Kim.
– C’est le principe militaire du check point. On avance le plus loin possible et on établit notre poste de contrôle. Si l’adversaire, l’ennemi n’est pas encore là, on avance un peu plus. Oui, vers le Cambodge. Au Cambodge même. On verra Siem Reap sous la pluie. Angkor, cela ne se visite pas au soleil. Si cela vous dit. Bien sûr, on ne va pas arrêter la mousson même en s’y mettant à trois, mais au moins on ne va pas se faire surprendre par elle.
– Je n’ai jamais été au Cambodge, dit Phailin. C’est vrai que Londres, Paris ou New York, Tokyo, par un effet pervers de l’impérialisme, sont paradoxalement plus proche que le pays juste à côté.
Kim fit aussi non de la tête.
– C’est vrai, dit Nam. Moi non plus. Avec notre amie thaïe, on va enfin prendre l’Empire Khmer en sandwich ! C’est Phailin qui décide et qui conduit.
– Je ne peux pas emmener ma voiture au Cambodge. Cela viendra un jour, mais ce n’est pas encore pour l’instant dans les accords bilatéraux. Je vais la laisser ici, on n’a qu’à prendre un taxi jusqu’à Aranyaprather et changer de voiture à la frontière, ce n’est pas compliqué et c’est encore plus pratique.
– Merci, dit Nam enthousiaste, et il se pencha vers elle pour l’embrasser.
Nit n’était pas là pour assister à ce baiser. Elle devait être au moment même dans le colombier qu’elle partageait avec trois collègues de service, à se retourner sur une mauvaise natte dans ces huit mètres carrés au-dessus du bar avec vue sur le linge à sécher. Mais si Nit avait été là, elle aurait dit :
– Et celle-là la poupée Caoli, Coréenne, tu l’aimes aussi.
Ce n’était pas difficile à deviner, et ce n’était même pas vrai. Mais dans la Thaïlande restée victorienne malgré les trois mille travailleuses du sexe qui encombraient tous les soirs Walking Street, la Thaïlande des sentiments pudiques, le baiser le plus prude, le baiser le plus indifférent ou le plus innocent signifie toujours l’amour ardent.
QUINZE
Nam n’avait jamais pu embrasser Alice, ne serait-ce que sur la joue. Ils passaient ensemble leurs après-midi à parler de livres, David Copper Field et Oliver Twist, en version française et en édition abrégée. Une fille de treize ans a d’habitude la maturité. Ils avaient dépassé le stade de «Club des Cinq» et du «Clan des Sept» et abordaient ensemble les classiques, mélangeaient l’épopée de l’Anabase avec l’exemplaire de La Nausée qu’Alice avait déniché dans la librairie parental.
Il ne sut jamais ce qu’elle était devenue trente ans après ces séances de Book club à deux dans le parc situé derrière la cathédrale.
Il n’avait pas vraiment cherché à savoir non plus. Alice pourrait vivre en ce moment en France peut être, ou comme tant d’autres émigrés viêts, en Californie de sud, Le pays à la fin de la guerre avait connu un sort moins tragique que le Cambodge, presque tout le monde avait pu se sauver au bout de quelques années passées à mâcher le manioc mélangé à du riz de dernière qualité. Alors la Floride, le Canada ou l’Australie… Cependant, ceux qui étaient restés, pour cause de mal de mer chronique, n’étaient pas les plus mal lotis. Depuis une quinzaine d’années, le pays était devenu «dynamique» et, qui sait, Alice gérerait à Saïgon des fonds d’investissements étrangers. Nam la verrait très bien en golden girl à une Bourse créée en l’an 2000 et qui avait augmenté de six fois en autant d’années ! HÖ-Chi-Minh-Ville avait la deuxième Bourse la plus performante du monde et Wall Street en était verte d’envie. C’était devenu enfin le pays des merveilles et Alice, son Alice toujours en jupette, dealerait dans les nouvelles banlieues de l’immobilier à deux mille cinq cent US le mètre carré de duplex. Cela aide, la lecture précoce de Jean-Paul Sartre au pays du socialisme à économie de marché.
Mais phailin faisait pour le moment très bien l’affaire de l’ersatz, en version «made in Thaïlande» comme dans la chanson de Carabao, et version améliorée.
Made in Thailand.
Et quand cela arrive à la boutique.
L’étiquette est changée en made in Japan
«Made in Thailand revisited», Nam était comblé. Il se sentait privilégié par le sort, dans la même voiture que ses deux amours de jeunesse, l’une en «copie» comme l’on dit ici et l’autre, un amour en «acte manqué» à l’époque, un amour en creux parce qu’il n’y avait pas simplement de la place en relief. Coup double, deux amoureuses retrouvées si l’on veut, qui plus est sortent toutes deux d’une partouze, ce qui préfigurait de joyeuses culbutes à trois.
Nam se sentait de taille, enfin, de taille, c’était beaucoup dire, il se sentait prêt à affronter tout développement possible de la situation à venir. Dans la voiture qui filait vers la frontière, il était absorbé par ces pensées en tenant la main à une Kim assoupie avec une moue qui la rendait encore plus désirable. De phailin, assise à côté du conducteur, il ne voyait que le dos dénudé lisse de duvet et une nuque balayée par les mèches teintes à couleur de thé. Pour des indiens, ce serait un spectacle de plus érotique, une nuque dévoilée, et Nam s’efforçait de fouiller tout ce qu’il pouvait rassembler d’Indien en lui sans beaucoup de succès. Il était d’une culture plus généraliste, de celle qu’il s’émouvait par exemple de la naissance des fesses qu’il devinait appuyées contre le siège, la naissance qui commençait le partage, la ligne Brévité, le tracé des frontières entre ces deux douces sphères bercées par les cahots. L’imagination, cela distrait pendant les trajets.
La frontière se précisait à Aranyaprather, à l’apparition des postes de l’Armée Royale, des Border Guards et de la Police. Leur conducteur eut droit au harcèlement coutumier, administratif et ayant un rapport obscur avec son assurance de voiture que la modique somme de deux cents bahts avait fini par éclaircir. Porpet enfin s’offrait aux frontaliers comme une tache colorée au milieu de la jungle verte, les puces de St-Quen posées au milieu de la végétation envahissante. L’on dirait du Leconte de Lisle illustré par l’auteur de la série «Où se trouve Charli».
Phailin était restée de marbre pendant la tracasserie policière avec un petit énervement que l’on devinait.
– Il paraît que Thaksin avait fait poser des caméras pour identifier les fonctionnaires thaïs qui se rendaient au Cambodge pour le jeu, dit Nam.
Les casinos étaient interdits en Thaïlande et le nouveau champion de la libre entreprise qu’est son voisin en avait profité pour en installer moult à sa porte, M. Propre et M. Rectitude Moral à la tête du gouvernement thaï avait décrété l’interdiction aux fonctionnaires de les fréquenter.
– Je m’en fiche de Thaksin, je m’en fiche de ses ordres, dit phailin. Celui là, il commence à nous énerver. Il ne va pas durer.
–«Encore un coup, général ?»Thaksin est imbattable aux élections, dit Nam le problème avec la démocratie, c’est que tout le monde peut voter, même les paysans au pied sales de l’Isan.
– C’est facile d’acheter leurs votes pour une poignée de riz ! L’administration Thaksin est complètement corrompue jusqu’à l’officier de police ! On vient de voir un exemple !
– Je suis d’accord, dit Nam. Et c’est bien moins grave que l’affaire Temasek, c’était seulement deux cents bahts.
– Ils s’emparent de tout !
– Et ils ne nous laissent rien ! C’est bien là le problème, le petit colonel de police de province qui se donne des airs! Thaksin n’est même pas général ! Dans un pays comme la Thaïlande, tu te rends compte ! C’est… c’est comme… capitaine, dans l’armée du Mexique ! Vous lui en voulez pour la décentralisation de l’éducation nationale, la visite médicale à cent bahts et les prêts directs aux paysans !
– On ne s’immisce pas dans la politique du pays hôte, intervint alors Kim, c’est une règle des fonctionnaires internationaux.
Ils avaient fait à peine cents mètres dans la foule des véhicules, bloqués par des étales de fruit, de tissu, et par de l’on ne sais quoi d’autre qui fleurissaient d’un seul coup à l’approche de la frontière. Un char à bœuf apparut, et c’était le Cambodge.
«Drelin-drelin» fit de la voix l’enfant de douze ans qui tirait le char. Il était torse nu et paraissait plein d’enthousiasme, pour quelqu’un qui devait faire franchir un char à bœufs à une nationale embouteillée
«Jayavarman VII en aurait été fier ! Voilà une race de bâtisseurs d’Empire !»Nam remarqua en s’accoudant contre le siège de devant. Il avait le visage contre l’épaule nue de Phailin et pouvait sentir le parfum de la jeune femme s’aigrir, se détériorer lentement dans cette lutte contre les éléments.
– En 1975, lors de la retraite de la 18è division sud vietnamienne de Xuan Loc à Ba Ria, Nam continua en soufflant dans la nuque de la Thaïlandaise… Le général Dao était en train de traverser un petit pont sans parapet lorsque retentit dans la nuit des cris de «Drelin-drelin» émis par une femme dans la totale obscurité. «Écartez-vous les mecs ! je n’ai pas de frein à mon vélo ! Ouste ! Ouste !» Ce qu’ils firent en prenant garde de ne pas tomber à l’eau. À la lumière d’une fusée éclairante, ils virent passer en trombe une femme forte d’âge moyen. Puis elle buta contre quelque chose dans le noir et l’on entendit non plus le bruit de Klaxon mais un cri «Aaaah» d’horreur qui retentit dans la vallée avant un grand «plouf». La femme avait fait une chute avec sa monture et le courant l’avait emportée !
– D’où est ce que tu sors des anecdotes pareilles, dit Kim.
C’est authentique ! Il y avait là tout le 43e Régiment d’infanterie accompagné du 82e bataillon de Rangers. En plein repli tactique, en plein guerre et en plein nuit ! Et cette femme qui sortait de nulle part en utilisant sa voix comme Klaxon de vélo ! C’est plus bizarre que de la fiction, Stranger than Paradice !
– Et c’est quoi la moralité de ce que tu nous racontes ?
– La moralité ? C’est que l’on ne fait pas cela impunément ! On le paye de son existence ! Il est plus facile de faire traverser un char à bœufs la frontière du Cambodge que de dépasser en bicycle une colonne militaire après la bataille de Xuan Loc.
– Et qu’est-il arrivé à cette colonne ?
– Rien. Elle avait pu atteindre Ba Ria et les soldats avaient crié «Thalassa !» Tu sais, Ba Ria est à côté de Vung Tau.
– Je me souviens, dit laconiquement Kim.
– C’est ici, dit leur conducteur.
Un jeune homme bien mis et propret, chemise repassée et stylos à la pochette, avait fait son apparition aux portières de la voiture.
– Vous avez des visas ? S’enquit- il avec un large sourire aussi sympathique que commercial.
– Non, fit Nam tout en acquiesçant au jeune homme.
L’on se croirait dans les mers du sud. Leur voiture était un requin, le jeune homme le poisson pilote, les bambins en guenilles multicolores des écoles de poisson plus exotiques les une que les autre avec le bleu des lagons ici substitué par le vert de la végétation qui chavirait sous la chaleur. Ils descendirent, aidés par le jeune homme et son acolyte qui leur frayaient un chemin en chassant des enfants. D’autre voitures arrivèrent, et la foule des mendiants de se disperser et de s’agglutiner de cesse, puis un car entier de farangs fit une efficace diversion et les sauva de la situation.
Ils atteignirent la premier gargote, îlot défendu, forteresse ouverts off limits et oasis.
Le jeune homme sortit son stylo, des formulaires à remplir et même une agrafeuse pour les photos.
«On ne va pas faire la queue sous le soleil devant la poste du Cambodge comme les farangs» expliqua Nam comme si cela était au- dessous d’eux. «C’est efficace ainsi, ce n’est pas cher et il faut bien que les gens vivent du service s’il n’y a pas d’industrie, vous le savez toutes les deux.»
Il leur fit remettre les documents et au jeune homme de remplir les demande de visas lui-même avant de les remettre à son assistant déjà prêt sur son scooter. Celui-ci disparut aussitôt avec, ce qui créa une petite inquiétude à Kim
– Je vais le revoir mon passeport ?
– Le business va disparaître s’ils perdent les documents des clients ! Tu as déjà vu dans toute ta carrière une administration qui travaille aussi vite ? Je ne suis pas néolibéral, au contraire, et même Keynésien classique rien que pour te plaire, mais il faut soutenir la petite entreprise ici. A Johannesburg, pour faire les cent mètres entre la station de bus et le premier Ibis, il faut payer dix dollars à des entrepreneurs pour pouvoir garder ton sac ou même ta vie. Ici au moins c’est agréable, Enjoy, je vais boire tranquillement une bière avec une salade de papaye verte.
Vous avez l’air très efficace, Monsieur, s’adressa-t-il au jeune homme, et je ne doute pas de l’avenir brillant de votre pays.
SEIZE
«C’est la seule voiture climatisée de ce côté de la frontière», annonça le jeune homme en accompagnant l’emphase d’un geste fleuri.
– Cela nous convient tout à fait, dit Nam.
Ils avaient rapidement franchi les contrôles accompagnés de leurs pilotes.
Nam regretta un instant de ne pas avoir à faire la queue derrière une Antillaise gracile qui dégoulinait de sueur sous son frêle débardeur dans la queue des touristes. Il lui adressa un sourire qu’elle lui rendit de ses dents éclatantes. Un sourire qui brillait sous cette lumière aveuglante du mois d’avril. Ils auraient lié conversation certainement, elle et lui. Ensuite fait un bout de route ensemble comme à sa grande époque, lorsque Nam n’avait pas encore atteint cette quarantaine fatidique. Il savait toujours comment s’y prendre, Césaire déjà, sujet facile pour meubler le chemin jusqu’à Siem Reap, puis le temple Ta Prohm à visiter et la chambre Lonely planet à partager ensemble. Il se rendit compte de sa situation présente, la procession ridicule de son groupe soudainement devenu VIP par la grâce d’intermédiaires, accompagné de cette ribambelle d’enfant qui louaient leur service ombrelle aux jeunes femmes et accueilli par la prévenance des douaniers graissés. J’ai vieilli, se dit-il,
La Toyota Camry de dix ans qui les attendait n’appartenait pas à son Excellence Bun Rany. Épouse du Samdech Hun Sen même si elle était rebaptisée avec l’aide d’un autocollant mensonger et immense en véhicule «Lexus». Ils allaient découvrir d’ailleurs que tout les véhicules à quatre roues du Cambodge, exception faite des chars à bœufs et charrette à mains, étaient rebaptisés avec les mêmes autocollants de la marque exclusive du constructeur nippon. C’était à se demander si la marques n’avait pas passer dans le langage populaire, telle elle était omniprésent. Et de désigner par exemple un auteur de qualité un auteur Lexus, ou une nana Lexus pour dire une fille canon.
Une fois quitté les abords immédiats de poipet, devant eux s’étalait un immense espace désolé. Un grand chantier pharaonique, l’on ne sait s’il faut dire Suryavaramanique ou Jayavarmanique, allait jusqu’à Siem Reap, une route difficile de terre rouge mais énorme qui préfigurait quatre voies rapides et, dans un proches future, dûment asphaltées. Pour le moment, elle était vide de travailleurs, comme abandonnée en cette période de fête de nouvel an. Cela donnait au spectacle un charme désuet de l’ère Pol Pot et, de temps en temps, seulement à l’annonce de quelque village, l’on voyait s’approcher des nuages de poussière rougeâtre soulevait par les véhicules venant dans le sens opposé.
Ces nuées de poussière n’étaient pas régulières comme dans La Chevauchée Fantastique ou massive comme dans La Charge de la Brigade légère mais formait un ballet étrange selon les conditions du revêtement temporaire de la chaussée. Les véhicules ne progressaient pas de manière rectiligne, mais devaient contourner les nids de poule qui formaient autant d’obstacles à leur avancée. Ce serait impossible de mettre une marche wagnérienne sur ce spectacle, mais La Bamba peut être, soy capitan no soy Walkyrie et certainement cela demandait pour le moins, un poco de gracia, un peu, beaucoup même, de grâce, si tu n’es pas assez agile tu vas te planter le rickshaw à motocyclette dans le nid d’autruche !
Nam était assis à l’avant et pratiquait le peu de Khmer qui lui restait avec le conducteur.
– Où est-ce que tu as appris le Cambodgien ? lui demanda phailin.
– À Long Beach, en Californie ! lui répondit-il C’est une ville qui compte autant de Khmers que Battambang.
Il s’était retourné un long moment à mater les jeunes femmes, insistant sur les poitrines qui offraient un spectacle encore plus intéressant que les convolutions réglées de la circulation qui venait d’en face. Ce n’était pas à proprement dire un ballet, les mouvements étaient de haut en bas, verticaux, avec de rares variations latérales, un swing synchronisé des deux paires dont la vue ne manquait pas d’infliger à Nam et à chaque fois un picotement agréable entre les jambes.
Salma ya salama
Rohna we geina bel-salama
Salma ya salama
Rohna we Geina bel-salama
– A cette cadence, je vais venir avant d’atteindre Siem Reap. Arrêtez ! Leur intima Nam. Non ! je veux que cela dure plus longtemps !
Oui ! Encore la langue ! S’écria-t-il lorsque Kim la lui tira au visage à cette remarque.
J’ai enfin saisie l’expression de «poitrine houleuse» ! J’ai enfin fait l’expérience du Cap de bonne Espérance et… des quarante, des quarantièmes rugissants !
– C’est 36 c pour moi, et je te conseille de t’en tenir à la navigation en solitaire, lui dit Kim méchamment.
– Alors, je vais dormir seul ce soir ?
– Il y a deux chambres, j’ai déjà régler la question, dit Kim en consultant sur son portable la résa quelle avait fait.
Le Angkor quelque chose Palace, quelque chose Resort, quelque chose Spa, faisait partie d’une chaîne hôtelière quelque chose Summit et était classé quelque chose World Luxury avec une grande entrée tout bambou et lotus, Tintin et le bouddha Tantrique.
– C’est joli, dit Nam, mais dans le lobby il y a une femme en train de pleurer.
On l’aurait prise de loin pour une sculpture avec la lumière tamisée de l’immense réception, courbée qu’elle était sur son grand sac en cuir et les cheveux lui cache le visage, de prés, ce n’était plus une œuvre d’art mes bien une jeune femme, brune au teinte de lait, digne même dans son allure prostrée.
– Elle n’est pas en train de pleurer, dit Phailin.
– Mais si ! Pour des femmes, vous n’êtes pas du tout sensibles ! J’avait vu cela de suite ! Il n’y a rien de plus particulier qu’une fille en train de pleurer de larmes muettes.
– C’est parce que tu n’avais pas manqué de la remarquer ! La fille, pas les armes, dit Kim. Il n’y a rien de plus particulier qu’une femme court-vêtue sur une banquette d’hôtel, avec larmes ou sans.
– La femme assise est un grand thème de la peinture ! La femme étendue, la femme couchée, la femme affalée aussi, moi j’aime bien la femme debout à la toilette et qui se penche sur la cuvette ! C’est de qui cela ? C’est vaguement bleuâtre comme peinture…tu ne vois pas de qui est-ce ? Degas, si je m’abuse.
«Toi qui, suscitant en nous le pouvoir créateur, nous mets tout proches de la divinité», et à Kim de citer Guillaume.
– Bonjour, demanda phailin avec sollicitude à la demoiselle diaphane et effondrée, quelque chose ne va pas ?
Janna avait dépensé toutes ses allumettes, mais c’était une grande fille et non pas une petite. Mince comme un Giacometti tordu, eh oui, La femme assise ce n’est pas l’Homme qui marche, elle devait faire un mètre quatre-vingt-dix avec des cheveux sombres à se demander s’il n’était pas teints et de très grands yeux tout aussi noisette. Comme le café, avec ce rien de mystère, comme le café calva alors, sur un zinc de gare normand, une gitane ô combien élancée et septentrionale bien loin des Saintes Marie de la Mer.
Non, cela ne va pas. Rien n’allait pour elle en ce moment, à Janna de Zaporoehye en Ukraine.
C’était la première fois qu’elle se trouvait à l’étranger. Le Cambodge alors qu’elle n’avait même pas visité la Moldavie ! En rendez-vous avec son fiancé d’Amérique, ici même, à cet hôtel, il y a deux jours. A Siem Reap ! Il ne s’était jamais manifesté.
C’était un Blind date, je ne l’avais encore jamais rencontré. C’est loin d’Amérique de Siem Reap. Il est basé à Singapour. Et une larme de couler de la mer d’Azov sur la pommette turco-tatare avant de lécher une maigre joue slave.
Janna avait connu l’homme sur un site de mariage. Demoiselles bien fichues de l’Est et hommes replets en Occident devaient y rencontrer l’âme mutuellement soeur. Ils avaient correspondu ardemment en courriels, ils avaient conversé passionnément à longue distance des heures entières, et lui avait envoyé pour la Valentine un billet électronique pour le Cambodge avec des fleurs. La réservation déjà régler était à son nom à l’hôtel Angkor truc machin. Cela s’annonçait magnifique, l’homme et les vieilles pierres, pour la version ukrainienne de Tomb Rider.
Mais quarante-huit heures s’étaient écoulées, la résa de l’hôtel venait d’expirer, depuis le check out à midi Janna était dans le lobby avec son bagage. Elle ne pouvait pas joindre le Pygmalion romantique que ce soit de vive voix ou par mail ou par texto ni ne savait comment s’y prendre pour échanger la date de retour sur les rives de sa Dnièpre familière.
Naufragée involontaire de fait, Janna était au milieu de ce lobby d’hôtel qui prenait eau et qui chavirait avec sa décoration Khméro-post-moderne.
– Il est marié ! dit Kim
– Toi aussi, tu es marié, dit Nam, en fait, c’est le pasteur d’une congrégation baptiste ou un télé-évangéliste qui se présente aux élections du Midterm aux Etats-Unis. Ces gens-là ont des devoirs de réserve. Ce n’est pas un businessman basé a Singapour, j’en suis certain.
– Il n’est pas de Singapour, spécula Phailin il est d’ici même, du Cambodge, de Phnom Penh. Il a une femme Khmère !
– D’un mètre quarante-cinq ! Ce sont les plus féroces !
«Elle risque d’attaquer Janna avec de l’acide», dit Phailin, quelque peut circonspecte, et en vérifiant autour d’eux une quelconque présence suspecte.
Le hall de l’hôtel était vide hormis quelque employés paisibles qui semblaient suivre la scène de loin d’une attention discrètement amusée. C’est cela, le service asiatique dans le secteur du tourisme. Le client y est roi, mais il est nu pour le personnel.
– Il pourrait être Cambodgien, il est vrai. Rien ne prouve qu’il soit américain ! Kim se met à hasarder.
«Un Big Boss ! Un ministre !», avança Nam.
Tat Marina, jeune fille de condition modeste, était devenu vedette de vidéo-Karaoké à force de déhanchements subtils devant les caméras. Elle rencontra un jour au studio un Cambodgien de l’étranger, patron de supermarché-restaurant-agence de voyage-transfert de devises-envoi de colis sur Anaheim Street à Long Beach en Californie du sud, le coup de foudre fut immédiat entre le Pygmalion entrepreneur des Sept mers et la Lolita sirène de Tonlé Sap (…)
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