La guerre d’Algérie n’a pas été qu’un conflit armé de décolonisation dénommée indifféremment selon les camps en présence. Pour les Français, ce sont à ses débuts, « Les évènements d’Algérie », puis « Guerre d’Algérie » depuis le 21 septembre 1960 date de sortie du récit éponyme de Jules Roy. Celui-ci va populariser une actualité devenue histoire, cette dernière dénomination n’étant admise officiellement que le 15 juin 1999 par l’Assemblée française. Pour les Algériens, c’est tantôt une « Révolution » tantôt une « Guerre de Libération Nationale », les deux expressions étant employées indistinctement depuis le 1er Novembre 1954. La guerre d’Algérie a été aussi une guerre de l’écrit, une « Insurrection de l’Esprit », selon le poète français Jean Grosjean. C’est ce qui retient notre attention dans cette présentation d’un certain nombre de publications parues globalement en cette année 2012, cinquantenaire de l’indépendance.
Il y a eu au préalable des journaux qui ont publié les positions des uns et des autres, des manifestes et des pamphlets mobilisant protagonistes politiques et militaires, intelligentsia et opinion publique. Viennent ensuite les éditeurs qui ont payé un lourd tribut : interdictions, saisies, procès, plasticages, attentats. Arrivent enfin la littérature stricto-sensu (roman, poésie, théâtre) qui, relevant par essence de la fiction, se révèlera paradoxalement plus lucide et perspicace que les politiques dans l’échelle immémoriale du temps.
Un journal dans la guerre d’Algérie et en Algérie indépendante : L’Express
Il est connu que L’Express ait joué un rôle primordial dans la lutte contre la guerre d’Algérie, mais beaucoup moins pour le devenir de l’Algérie décolonisée. Aussi, le journaliste Dominique Lagarde, en collaboration avec son confrère Akram Belkaïd et l’historien Benjamin Stora, établit-il dans Algérie, la désillusion (Paris, Express Roularta Éditions, 2011, 528 p.) un bilan dans un recueil d’articles que l’hebdomadaire publia depuis plus de cinquante ans. En guerre d’Algérie, L’Express rassembla des plumes variées : le centriste Jean-Jacques Servan-Schreiber, les écrivains de gauche venus d’Algérie Albert Camus et Jean Daniel, le très catholique de droite François Mauriac qui, le premier, dénonça la torture dans un récit-témoignage portant déjà le titre… La Question (L’Express, 15 janvier 1955 ), en même temps que Claude Bourdet fustigeant « Votre Gestapo d’Algérie » ( France Observateur, 13 janvier 1955 ). Le journal faisait partie, avec France Observateur, Témoignage Chrétien et Le Monde, des « quatre grands de la contre-propagande française » (Jacques Soustelle). En Algérie indépendante, l’hebdomadaire suivra les grandes étapes d’un pays porteur d’avenir, celui construisant un « socialisme spécifique » comme celui en butte au péril de l’islamisme, bref une société algérienne en mutation, des lendemains qui chantent de l’indépendance à la réalité d’aujourd’hui. Ce faisant, le recueil nous donne à re ( voir ) un véritable trésor d’archives, de photographies et de Unes de l’hebdomadaire, replacées dans leurs contextes et savamment annotées et expliquées. En seconde partie de l’ouvrage, Benjamin Stora et Akram Belkaïd débattent ensemble du bilan de l’Algérie, sans illusions à leurs yeux, ce qui est une généralisation hâtive et donc inexacte.
Sont abordés aussi les états d’âme de personnalités de part et d’autre de la Méditerranée : culpabilité, repentance, échecs répétés des politiques pour élaborer une amitié algéro-française ou franco-algérienne viable, vérité historique et travail de mémoire, condamnation du colonialisme, etc. Pour ces personnes, la guerre d’Algérie est demeurée à jamais problématique, l’Algérie et ses problèmes actuels aussi.
La voix du FLN : El Moudjahid.
La révolution algérienne a bénéficié d’un média clandestin, mais d’une redoutable efficacité, El Moudjahid. Un essai collectif, El Moudjahid, un journal de combat (1956-1962) (Alger, Éditions ANEP-El Moudjahid, 2011, 143 p.) retrace la genèse et dresse le bilan – largement positif – d’Un journal de combat, titre de la présentation anonyme. S’en suivent les contributions de trois illustres figures qui furent acteurs incarnant journalisme et militantisme : ce sont respectivement celles de Rédha Malek, El Moudjahid, organe idéologique de la Révolution, de Pierre Chaulet, Ma participation à la rédaction d’El Moudjahid, 1956-1962 et de Zahir Ihaddaden, Avec El Moudjahid, 1956-1962. Sont mis en perspectives des extraits d’articles
signés ou non, un hommage à deux autres membres de l’équipe rédactionnelle Abdallah Cheriet et Frantz Fanon, une chronologie doublée d’une fiche signalétique du journal ainsi qu’une liste (non exhaustive, hélas !) des personnes qui ont participé à un engagement dangereux, cloisonné mais combien exaltant ! Tous ces textes aident à la compréhension d’une Parole qui identifie les jalons d’une histoire de la Guerre de Libération – souci majeur de tous depuis 1962 – en montrant à quel point ceux qui l’ont écrite de sang et d’encre ne se sont pas trompés.
L’autobiographie ou les mémoires des Algériens Pierre et Claudine Chaulet, Le choix de l’Algérie, Deux voix, une mémoire (Alger, Barzakh, 2012, 502 p., préface de Rédha Malek) apportent aussi de précieuses informations sur leur itinéraire militant, lequel coïncide partiellement avec l’épopée d’El Moudjahid et, d’évidence, avec l’Algérie indépendante. Saluons le succès de cet ouvrage qui a connu depuis sa parution en mars 2012 trois éditions successives. Saluons aussi la mémoire de Pierre Chaulet, disparu le 5 octobre 2012, né à Alger le 27 mars 1930. Ce dernier est resté fidèle à son engagement : entier, intégral, actif, juste, pour une Algérie de tous les Algériens jusqu’à son enterrement, selon sa volonté, avec un autre moudjahid, Fernand Yveton.
Un éditeur en guerre d’Algérie : Les Éditions de Minuit
Fondées clandestinement en 1942 par Pierre de Lescure et Vercors, sous l’Occupation nazie, Les Éditions de Minuit (Paris) ont mené leur second combat pendant la guerre d’Algérie. Conséquent avec lui-même, Vercors n’a-t-il pas personnellement remis en 1958 sa décoration de la Légion d’honneur, après avoir condamné la torture, évoquant même l’écriture d’un Silence de la mer algérien pour crier la grande injustice faite à notre peuple ? Quant à la maison d’édition, dirigée par Jérôme Lindon à compter de 1948, elle entra en seconde résistance en publiant dès début 1957 – dans sa fameuse collection Documents, bordée d’un liseré rouge ponctué d’une étoile – vingt-trois ouvrages principalement centrés sur la dénonciation de la torture et la désobéissance. Ces actions militantes entraînant douze saisies, un procès et un plasticage par l’OAS en décembre 1961, sort similaire que connaissent aussi les Éditions François Maspero. Parmi ces ouvrages, citons Pour Djamila Bouhired, de Georges Arnaud et Jacques Vergès (1957), La Question, d’Henri Alleg (1958), L’Affaire Audin, de Pierre Vidal-Naquet (1958), La Gangrène, de Bachir Boumaza (1959)(…)
Une Réponse pour cet article
Dommage que dans cet article ne soit pas mentionné le journal l’Humanité, qui a pris, dès le début du conflit,ici en France, une place prépondérante pour dénoncer cette sale guerre.
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