L’ivrEscQ : Dans quelles circonstances avez-vous fait la connaissance d’Edmond Charlot ?
Guy Baaset : J’ai fait la connaissance d’Edmond Charlot fin août ou début septembre 1970 à Izmir. J’avais été affecté dans cette ville comme VSNA (Volontaire du Servie National actif) à un poste de professeur de français, activité qui, à cette époque, pouvait remplacer le service militaire. C’est la personne qui devait m’accueillir et qui m’a effectivement accueilli à mon arrivée en Turquie où je suis resté deux années scolaires. J’ai ainsi eu le privilège de l’avoir pendant tout ce temps comme «patron».
L. : Qu’y faisait-il exactement ?
G. B. : Il y dirigeait le Centre Culturel Français, grosse bâtisse située à proximité immédiate de la mer Méditerranée, lieu de promenade et de méditation idéales. Paré du titre pompeux de «vice-consul chargé des affaires culturelles», il était chargé d’assurer la présence culturelle française dans cette ville et de travailler au rayonnement de la culture française. Les activités du Centre étaient multiples : de nombreux étudiants venaient y apprendre la langue française ou s’y perfectionner. Et le Centre drainait aussi un public nombreux à l’occasion des séances hebdomadaires de cinéma, des conférences, des expositions, des représentations théâtrales qui y étaient organisées. Il appartenait à Edmond Charlot en liaison avec les services culturels de l’ambassade situés à Ankara, de coordonner l’ensemble. Il le faisait en apportant sa touche personnelle, son ouverture à la culture contemporaine et en faisant appel à son carnet d’adresses. Il n’hésitait pas non plus à solliciter les nouveaux arrivants, et plus particulièrement les jeunes pour une participation active à la vie du Centre. Son aura personnelle fait qu’il avait su prendre place dans la vie culturelle de la ville entière.
L. : Et son travail d’éditeur dans tout cela ?
G.B. : Edmond Charlot avait été éditeur jusqu’à son départ d’Alger en 1962. C’était du passé : il ne l’était plus. Très rapidement, il se disait qu’il avait été le premier éditeur de Camus, et notamment l’éditeur d’Emmanuel Roblès et de Jules Roy… Cela se savait par la rumeur ou aux travers des souvenirs qu’avec humour il pouvait confier. Mais il n’en tirait aucune gloire et l’ampleur de sa tache éditoriale restait méconnue. Le soin apporté à la rédaction des programmes mensuels du Centre portait encore la trace de son ancien métier. Et on sentait bien que l’édition était toujours une de ses raisons de vivre. Il publia ainsi à Izmir deux courts volumes : une pièce de théâtre, écrite par un de ses amis professeur à Ankara, qui fut jouée dans les Centres culturels de Turquie, et l’année suivante un volume (illustré) de poésie de Jean Lescure, auteur qu’il avait publié à Paris plus de vingt ans avant et qu’il venait d’accueillir à Izmir. Je lui ai servi à plusieurs reprises de chauffeur quand il se rendait chez l’imprimeur pour surveiller l’avancement du livre d’André Rougon.
L. : Que pensez-vous de l’expression : Edmond Charlot, fils d’Alger ?
G.B. : Je crois qu’elle le dépeint bien. Sans aucune nostalgie, car Edmond Charlot était fondamentalement tourné vers l’avenir, plus que sur le passé, et je crois qu’il gardait une tendresse particulière à Alger où il avait pu réaliser certains de ses projets et rencontré de nombreuses personnes intéressantes dans des milieux très différents. Son catalogue, y compris à la fin de sa vie, comprend beaucoup de titres qui ont un rapport direct ou indirect à Alger, à l’Algérie, à la Méditerranée qui baigne la ville comme le pays. Et Alger revenait souvent dans ses conversations.
L. : Quel est le souvenir que vous gardez de lui ? Une anecdote ?
G. B. : Son accueil et la confiance qu’il vous faisait. J’avais à l’époque l’âge de son fils et il m’a considéré comme quelqu’un avec qui on pouvait discuter – notamment littérature. Sortant à peine de mes études, c’était me jeter directement dans la vie, me demandant aussi de me mettre au travail. C’est ainsi qu’il me fit participer à une table ronde sur Camus aux côtés de ses amis algérois de passage à Izmir.
L. : Pourquoi un centenaire Charlot ?
G. B. : Nous traversons une période politique troublée internationalement, et la figure du politique semble aujourd’hui mise en cause ou dévalorisée : la référence économique semble devenue la seule valable. Il est bon que l’importance de la littérature et l’art soit réaffirmée, (non comme un refuge mais comme une des composantes importantes de toute civilisation) à travers l’hommage à un éditeur et à un galeriste –ce que fut aussi Edmond Charlot, on a trop tendance à l’oublier–. Et Edmond Charlot sut aussi, par sa connaissance des auteurs étrangers, nous ouvrir les yeux sur un monde qui n’était pas simplement occidental ou méditerranéen. Philippe Soupault qu’il a publié, reprenant une expression poétique d’Apollinaire lui-même, disait du poète qu’il était une «fusée-signal» du monde moderne. L’expression conviendrait bien pour qualifier Edmond Charlot.
(Propos recueillis par la Rédaction)
Il n'ya pas de réponses pour le moment.
Laissez un commentaire