« Qu’avait-il à faire de la folie des hommes, à l’image d’un Hitler qui mit le monde à feu et à sang ? Il laissa choir le cahier et se mit à questionner les saignées du plafond sur son désintéressement »
Quand amours et damnation s’entrecroisent!
Il était une fois un gars de Belcourt. Le commencement du roman est une ambiance de l’école d’Amar Boum’Bara. L’enfant est humilié, persécuté, tabassé, rançonné dans un quartier d’Alger, Belcourt. Il s’effacerait en tentant de se rendre invisible. Parfois, il est indifférent aux moqueries de son entourage. Pourtant, la cruauté à l’école a forgé Amar Boum’Bara. Il a appris à se faire passer pour une ombre, pour se mettre à l’abri des regards. L’auteur enlaidit tellement le dessein de l’enfant, comme par un malin plaisir de pointer de l’index l’irréparable. Même l’eau de mer donne de l’urticaire à Amar. Soudain, un halo de la providence. L’enfant tombe sur la photo de Gandhi. Il apprend, un tant soit peu, la maîtrise à la Gandhi pour atténuer sa souffrance. Dans cette trame, Youcef Merahi, cet observateur affûté, décrit, avec une plume trempée d’acide, l’exode rural, l’apprentissage de la vie citadine après l’indépendance, la dégradation des immeubles, les bagarres entre voisins, la déchéance ; et pour couronner le tout, sur toile de fond, demeure l’être qui jouit d’exister dans son ineptie. Dans ce roman, les immeubles nouvellement envahis par la horde vomissent leurs entrailles par la promiscuité. On défèque partout, on casse tout, on urine dans les coins des immeubles. Et pourtant l’horloge démente poursuit son délire. Le comble de l’hérésie est que personne ne crie : «halte à la descente». Amar Boum’Bara reste prostré chez lui. Il est en marge de la vie. Et s’il se jetait du sixième étage pour planer dans le vide ? pense-t-il très souvent. Il y a aussi ce litige entre son père et Aliouet qui perdure. Même Daddi, sa grand-mère, dont on méconnait la date de naissance est un être végétatif qui dérange la famille. La noirceur dans Je brûlerai la mer est épaisse. Elle est omniprésente. L’auteur détecte le moindre soupçon de la décrépitude « Ce soir-là, il n’a pas mangé. Des idées allaient et venaient dans sa tête, comme le pendule de la vieille horloge accrochée au couloir. Il regagnait directement sa chambre, sans faire attention au regard interrogateur de sa maman qui, depuis toujours, s’inquiète de toute la smala. Il s’allongeait tout habillé sur son lit et tentait de comprendre quelques lignes de son cours d’histoire. Rien à faire, la leçon était une suite de lignes parallèles, sans plus. Qu’avait-il à faire de la folie des hommes, à l’image d’un Hitler qui mit le monde à feu et à sang ? Il laissa choir le cahier et se mit à questionner les saignées du plafond sur son désintéressement (…) seul, enfin. Hors du monde. A l’intérieur de soi, comme s’il voulait régresser jusqu’à prendre sa position du foetus… ». L’introspection est tellement percutante que même la mort de Daddi est décrite, par Youcef Merahi, avec cette odeur particulière d’un être en partance définitive. Amar reste triste à la mort de sa grand-mère. Son chagrin, une fois de plus, est caché. Il ne doit pas laisser transparaître son deuil. Car depuis toujours, on apprend à cacher tous les soubresauts de ce monde ici-bas. Ce Belcourtois, demeure cet enfant en mal de vivre. Ses études ? Peu lui chaut. Il fait l’école buissonnière en errant au Jardin d’Essai. Cet endroit l’apaise par l’ombre salutaire des feuillages qui le protège de sa solitude. Entre désillusion et amertume, l’auteur ponctue son roman par la récurrente douleur, celle-ci reste l’une des plus assourdissantes, quand Amar Boum’Bara est interpellé par la police qui l’accompagne à la morgue. Lorsqu’on relève le pan de drap, Amar découvre le corps sans vie de sa soeur. Satan a souillé, une fois de plus. Blasphémé. La folie est au rendez-vous. L’Algérie est talibanisée. La mort est banalisée, et le monde continue sa cadence. Le roman est construit comme un kaléidoscope de situations où le temps est le maître mot. Au fil des tristesses et des résignations, et en l’espace d’un rets d’espoir, la mère d’Amar manigance le mariage de son fils. Celui-ci lui fait confiance, et se fait marier par le choix de sa génitrice. Amar se fait beau pour sa nuit nuptiale. Seulement, qui allait partager sa vie ? Ou mieux, qui allait partager sa vie pour le meilleur et pour le pire ? Le destin s’acharne, une fois encore, sur cet être quêteur de paix et d’amour. Le marié découvre une femme bedonnante. Aurait-il le courage d’accomplir la copulation légale ? Pendant que Lydia pointe le dard des tentations et du charme, Amar désire renaitre des cendres tel un phoenix se perd dans ce monde de chimères qui n’est guère le sien. Lydia, cette louve aux envies débridées, jouera-t-elle de lui comme par lubie ? Et pourtant, il l’a aimée éperdument ! Il l’a aimée à sentir le monde s’écrouler sous ses pieds ! Quand amour et damnation se mêlent, les rêves à l’emporte-pièce demeurent le lot des hommes à la recherche de l’inaccessible. Dans ce roman, Youcef Merahi donne le ton incisif, et n’hésite pas à sonder l’alliance de la déliquescence et les plaisirs volatils dans l’âpreté des luttes.
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