Les thèmes en littérature contemporaine et autocensure
L’idée d’explorer nombre d’aspects de la «Littérature plurielle de l’Algérie et l’Ailleurs», ce qui est en fait le titre de notre rencontre d’aujourd’hui avec une pléiade d’auteurs nationaux et étrangers, nous permettra non seulement de profiter de cet espace de belles lettres mais aussi d’apprendre plus et de nous concerter sur un sujet qui habite ce vaste domaine de l’art contemporain. Alors, en abordant ce sujet riche et complexe, une première question nous vient directement à l’esprit et nous nous la posons d’une manière simple. Pouvons-nous donner à la littérature contemporaine une réponse plus ou moins juste et claire quand on ne veut pas la réduire au niveau de la forme et de la problématique et quand nous savons qu’elle est traversée par de multiples courants et singularités qui font ses lignes directrices ?
Voyons ce que pensent les critiques d’art et les essayistes de cette littérature, notamment Sébastien Rongier, professeur à la Sorbonne. Il disait clairement : «La période contemporaine est marquée par une grande dispersion, il faut donc affronter la pluralité», à l’inverse des «périodes précédentes qui connaissaient bien sûr une grande pluralité et qui étaient marquées par des lignes théoriques, des courants, des écoles, des avant-gardes, toutes choses qui ont aujourd’hui disparu.» Cela étant, je veux, pour ma part, me risquer à une autre approche, en simplifiant le sujet autant que possible et en le réduisant à son expression la plus élémentaire. Ainsi, je dis que la littérature algérienne vit au rythme des conditions du peuple, elle est en quelque sorte ce miroir qui réfléchit fidèlement la vie des Algériens dans tous les domaines ainsi que leurs aspirations à un futur meilleur. Elle se situe dans trois principales périodes. La première étant celle d’un peuple dominé, vivant les affres de l’exploitation et de la dépersonnalisation, la seconde, celle de la lutte pour le recouvrement de sa souveraineté nationale, la troisième et dernière, celle dans laquelle nous vivons et où d’autres phénomènes émergent dont un certain nombre de tabous sociaux et religieux, auxquels s’ajoutent le désir de s’affirmer en créant cette littérature de conception algérienne. Dans ce chapitre, je cite certains auteurs qui ont eu cette éminence pour s’affirmer sur la scène de l’écriture et nous laisser des œuvres d’une grande facture qui, aujourd’hui, nous permettent de nous enorgueillir dans ce monde mirifique de la production littéraire. Mouloud Feraoun, Mohammed Dib, Kateb Yacine, Mouloud Mammeri, Jean Amrouche et Malek Haddad, pour ne citer que ceux-là, nous ont comblés de romans qui ont fait l’émergence de la littérature algérienne. Pour preuve, il y a ce premier roman de Mouloud Feraoun, écrit en 1939, Le Fils du pauvre et l’autre La Terre et le Sang, qui a reçu en 1953 le Prix du roman populiste. Il y a cette remarquable trilogie de Mohammed Dib, avec ses volets que sont La Grande Maison, L’Incendie et Le métier à tisser. Il y a également Nedjma, ce merveilleux roman de Kateb Yacine, considéré comme une œuvre capitale, ou encore Le Malheur en danger de Malek Haddad et les poésies de Jean El-Mouhoub Amrouche Cendres en 1928, Mirages en 1934, Étoile secrète, Cahiers de barbarie en 1937 et Chants berbères de Kabylie en 1939.
Dans la seconde période, celle de la lutte de libération nationale, la littérature algérienne se situait forcément dans le contexte historique et d’aucuns disent révolutionnaire. Elle avait pour but de montrer la réalité d’une Algérie sous la domination coloniale… Une domination illégitime qui se traçait dans son programme l’éloignement du peuple algérien de ses fondements, de ses constantes et de ses origines. La production des auteurs, déjà cités, symbolisait les prémices d’une revendication d’un retour aux sources. Les Feraoun, Yacine en langue française et de nombreux autres en langue arabe, des écrivains de grand talent, incarnaient cette période où la littérature devenait accusatrice d’atrocités subies par le peuple, tout en mettant en exergue la prise de conscience de ce dernier et son union pour déloger l’occupant de ses territoires conquis par la force. Jean Sénac n’affirmait-il pas en 1957 en pleine Révolution : «La littérature algérienne se veut un témoignage d’un déchirement, d’un retour aux sources, d’une volonté de renaissance. Elle se veut réquisitoire et mot d’ordre.»
Quant à la période dans laquelle nous vivons et qui a commencé au lendemain de l’indépendance, elle connaît de nouveaux auteurs qui ont émergé pour s’imposer sur plusieurs registres, celui de la poésie, des essais et des nouvelles. Ils sont nombreux, et c’est tant mieux, puisque c’est un bel acquis pour le monde de la culture qui doit être sans cesse productif et inventif. Je ne peux, quant à moi, les citer un à un, car j’en oublierai forcément une grande partie, mais je me contenterai de rendre hommage à ceux qui ont disparu et dont le souvenir reste vivace en chacun de nous. J’ai nommé Rachid Mimouni, Tahar Djaout, Abdelhamid Benhadouga, Abou Laïd Doudou, le docteur Saâd Allah et Tahar Ouettar.
Par quoi se caractérise cette dernière période ? Par tant de sujets, pourrait-on répondre, le plus simplement du monde. Mais le lecteur averti comprendra que les auteurs, indépendamment de leur formation littéraire et donc de leur orientation spécifique, ont été quelque peu influencés par le climat de désordre qu’a connu le pays dans les années 90, un désordre qui a atteint l’ensemble des secteurs et qui a éclaboussé toutes les couches sociales du pays. Ils sont pour la plupart, jusqu’au jour d’aujourd’hui, esclaves de quelques images qui ont pollué l’atmosphère jadis sereine, ces images qui se perpétuent pour devenir de nouvelles mœurs sur le terrain de la réalité, d’où leur transmission à travers l’écriture pour dénoncer cet état de fait que nul n’aurait pensé voir s’éterniser dans notre pays. N’est-ce pas que l’écriture est aussi «le rapport entre la création et la société, elle est la forme saisie dans son intention humaine et liée ainsi aux grandes crises de l’Histoire» ?, comme soutenait Roland Barthes dans Le Degré zéro de l’écriture, paru aux éditions Le Seuil, en 1953.
Cela dit, même si les auteurs d’aujourd’hui se penchent sérieusement sur ces questions d’actualité qui s’amplifient pour déboucher sur un marasme qui nous colle à la peau, ils n’en font pas toujours leur credo car ils ne peuvent, de par leur formation d’écrivain, s’éloigner de cette éthique qui leur commande un style de littérature qui met en valeur une création personnelle dans le vaste champ de l’aventure humaine. De même que si la plupart de nos auteurs à travers des écrits tenaces et de plus en plus féconds – il faut le souligner avec force – approchent différents domaines, d’autres se contentent de rester dans leur discipline, c’est-à-dire dans leur thématique identitaire, historique, culturelle et politique.
C’est ainsi que je vois notre littérature algérienne. Alors, sans aucune prétention de ma part, je vais – si vous le permettez –, en un laps de temps très court, vous rapporter mon expérience dans ce domaine qui m’est particulièrement cher et que je respecte énormément.(…)
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