(Assia Djebar)
La littérature offre des possibilités infinies de création dans toutes les langues, pensé-je, où un condensé de fantaisie ou de vérité, de fatalité ou d’espérance, de devoir ou de mensonge, de combat ou de lâcher prise se confondent sans doute pour ressortir ce qui anime l’Homme. Étrangement, la science et la technologie ont avancé, mais l’homme dans son univers littéraire, dans lequel le mot Engagement est maître mot, mène un combat sans merci pour réinventer l’Homme libre. L’actualité livresque coïncide avec la date de la commémoration du cinquantenaire de la mort de Frantz Fanon (1925-1961). Cet écrivain militant antillais a marqué notre histoire. Dans cette édition de L’ivrEscQ, nous avons essayé de comprendre en un demi-siècle comment notre pays, l’Algérie, a accompagné Fanon, adulé et surmédiatisé, parfois à des époques, et placé sous silence en d’autres. Des incompréhensions absurdes, Fanon les relève dans ses combats, ses positions, ses engagements profonds pour façonner l’Homme libre. Lycée, hôpital, cercle de conférences, boulevard portent le nom de Frantz Fanon. «Frantz Omar Fanon», comme l’a écrit le président de la République, Abdelaziz Bouteflika, est définitivement ancré dans des travaux et rencontres qui s’inscrivent dans l’actualité. Ainsi pensons-nous que ce penseur universel habité par un espoir obstiné a mis en garde les pays colonisés en voie d’indépendance de l’engagement qui ne compatit nullement avec l’absurde…
Une œuvre semble réelle par les confessions, les instants banals, les rapports ordinaires de la vie qu’on nous écrit. Depuis la nuit des temps, l’écrivain met son dévolu avec des bouts de réel et de fiction qui s’assemblent en un ouvrage. Le commun des lecteurs, entiché de littérature, que nous sommes, tente d’effleurer les instants magiques de ce même ouvrage pour le plaisir de lire et s’en détacher de suite. Mais, la force inépuisable d’un récit qui nous tombe entre les mains, parfois même fortuitement, nous poursuit. C’est le cas du dernier livre de Anouar Benmalek, Tu ne mourras plus demain. Un récit tissé d’un fil soyeux d’un écrivain avec sa mère. C’est ce lien fort entre une mère aimante et son enfant que l’écrivain nous a offert pour restituer au plus près des gestes et des paroles de ce monde ici-bas que nous tentons de saisir, mais en vain. Par l’harmonie des mots, l’auteur de Ô Maria a rendu le récit moins lourd en poids de la souffrance puisqu’on est dans la perte d’un être qui lui est trop cher, sa maman. Il a pu tailler le mot juste jusqu’à le rendre comme une vitre dépolie lorsqu’il aborde une telle douleur en juxtaposant l’espace de la mort et l’espace de la parole. Autrement dit, peut-on tout écrire à condition de savoir broder autour ? Il est l’écrivain, confirmé par tant d’écrits, tanguant d’une rive à une autre, d’un fragment de temps à un autre en allant à contre-courant de certaines règles établies pour mieux irriguer à sa manière la littérature universelle. Il n’a pas le droit à l’intolérance par son origine plurielle, exprime-t-il maintes fois lors de ses interventions. La résonnance des mots dans Tu ne mourras plus demain est forte. Néanmoins, s’agissant de «la mission» de cet ouvrage, Anouar Benmalek expliquera que l’inspiration est inattendue, elle arrive alors qu’on ne s’y attend pas. Ainsi, les écrivains réalisent des œuvres qui restent infinies. Leur livre prend fin, pendant que leur œuvre reste.
Il arrive qu’on sente la sensibilité d’un auteur plus qu’un autre. C’est le cas de Malika Mokeddem, dans son dernier livre La désirante, un roman d’amour. Sulfureuse, l’auteure noircit le papier par son héroïne Shamsa. On devine l’aspect solaire de cette autre Méditerranéenne, mais Shamsa est orpheline, comme pour mieux se dénuder du poids de la famille. La famille, Malika Mokkedem en parle sans gêne ni tabou. Animée d’une ardente force pour la frénésie, chez elle rien n’est évoqué par hasard. Elle écrit, strate après strate, les étapes de ses âges, ses expériences qui jalonnent des us et coutumes du passé et de l’interdit, mot qu’elle exècre par dessus tout. Elle le voyait, jadis, barrière à son horizon, ocre. La portée émancipatrice de ses œuvres propose au lecteur une parole osée, libératrice. Aussi, la quête chez l’auteure de Mes hommes est dans cette étendue saline de la Méditerranée où le sel donne la saveur aux desseins de femmes.
Dans ce quatorzième numéro de L’ivrEscQ, des sujets intéressants les uns que les autres sont à découvrir, allant des écrits du terroir, de Rachid Mimouni, Abrous Outoudert, de la revue Promesses que nous avons dépoussiérée aux écrits d’aujourd’hui des écrivains contemporains.
Bonne lecture !
Bonne année 2012 !
Nadia Sebkhi
n.sebkhi@livrescq.com
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