L’ivrEscQ : Natif de l’une des plus belles îles de la Grèce, l’île de Lesbos, qu’est donc la Méditerranée pour vous ?
Stratis Pascàlis : La mer méditerranée est la mer matrice des anciennes civilisations ; elle est un lieu où la nature trouve son équilibre idéal et l’homme lui-même sa plus profonde identité : celle de son vrai soi-même. Pour tous les pays qui composent cette partie du monde qui s’étend de l’Asie Mineure jusqu’au détroit du Gibraltar, autour de ce qui ressemble à un lac d’eau salée, George Séféris, le grand poète moderniste grec, Nobel du siècle dernier (et qui a aussi été ambassadeur), les nommait les «Pays du Soleil». Mais d’un soleil qui resplendit d’une lumière claire et en même temps noire… Une lueur à la fois angélique et tragique. Je crois que cette lumière purifiante et aveuglante est précisément la lumière opaque du midi algérien dont Albert Camus disait : «Une énigme heureuse m’aide à tout comprendre… la lumière du soleil, à force d’épaisseur, coagule l’univers et ses formes dans un éblouissement obscur…. cette clarté blanche et noire, pour moi, a toujours été celle de la vérité…».
L. : Enigme, beauté, tragédie, il y a là tant d’extrêmes…
S.P. : Oui, parce que la Méditerranée est aussi le lieu des grands amalgames. Amalgames de peuples, de races et de civilisations multiples et impressionnantes. La Méditerranée est le lieu de ce mélange (krama en grec) dont le célèbre poète Cavafy a parlé dans ses poèmes en nous révélant sa pluralité, ses atmosphères et son climat toujours complexe, multiforme, imprégné par le mystère d’une condition formée d’une multitude de différences et de contradictions. Une réalité en mouvement qui a abouti finalement à une unité compacte et solide, porteuse dans ses flancs du germe des grandes traditions du monde antique. Naguib Mahfouz a dit, lors de son discours de réception à l’Académie Nobel, qu’il ressentait et vivait l’ingrédient actif de l’amalgame des quatre composants de la substance génératrice de son pays d’aujourd’hui : la civilisation pharaonique, la gréco-romaine, la byzantine, l’islamique.
L. : Méditerranéen de naissance sans conteste, mais vous êtes d’abord Européen par culture et par le socle des intérêts partagés entre citoyens des pays qui composent l’Union européenne…
S.P. : C’est vrai que nous autres habitants de l’Europe du Sud nous sommes sans cesse tournés vers les pays de l’ Europe occidentale et nordique ; des pays qui par leur force et leur prospérité deviennent « normalement » le centre de notre intérêt politique, matériel et culturel jusqu’à ce que nous en oubliions très souvent, trop souvent même, que nous appartenons de fait à la grande famille des pays de la Méditerranée qui nous sont beaucoup plus proches et plus familiers. En réalité, nous sommes beaucoup plus attachés à cette famille, je dirais par des liens presque charnels. Il est vrai, cet «oubli» nous a au fur et à mesure conquis… et éloigné de notre vraie descendance qui est l’osmose entre l’Occident et l’Orient ; un magique et mystérieux mariage de la culture chrétienne et islamique à la lumière d’un esprit qui nous impose à tous une mentalité de vie quotidienne presque commune, que ce soit notre attitude envers la vie ou envers la mort. Ainsi, des notions de l’éphémère, du respect du destin, du souci de ne pas dépasser la mesure, du sens de l’humain dans sa plus simple et profonde expression… Cette réalité qui fait qu’ont est à la fois innocent et coupable sans le savoir, heureux et tragique, libre et condamné, ouvert à la vie et à la perte, à chaque instant comme un enfant qui existe sans y penser, croyant seulement aux mythes et à la poésie de ses fantaisies, primitif et profondément noble…
Par Abderrahmane Djelfaoui
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Trés bel article
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