Cette chronique consacrée comme l’ensemble de ce numéro de L’ivrescq, à la personnalité d’Edmond Charlot, s’inspire de propos tenus par René Gachet qui l’a connu à Alger et qui a déjà eu, il y a quelques décennies , l’occasion de donner par écrit son sentiment sur l’homme qu’il avait pu apprécier voire admirer. A cette époque, René Gachet était encore presque un jeune homme alors qu’Edmond Charlot était déjà un homme âgé. D’où une sorte de déférence qu’on sent dans le témoignage porté par le premier sur le second. Ce témoignage se trouve d’ailleurs confirmé par beaucoup d’autres recueillis oralement, en sorte que pour la commodité et la brièveté de cette approche, on peut s’en tenir, dans ce qu’on trouve sous la plume de René Gachet, à trois des aspects sur lesquels il met l’accent. Le premier aspect se résume dans une formule qu’il faut prendre à son sens plein et complet : Edmond Charlot était un honnête homm , ce qui veut dire évidemment qu’il ne volait pas mais on sait que cette formule a signifié pendant longtemps bien davantage. On peut citer à cet égard les propos même de René Gachet, qui demande qu’on redonne à cette expression toute sa vivacité, aujourd’hui perdue, car, écrit-il, je suis convaincu que ma définition de la carrière et de la personnalité d’Edmond Charlot se résume en toute simplicité dans ce mot : un honnête homme, et pour commenter cette honnêteté, il parle d’une droiture sans forfanterie ou encore de sa manière d’opposer aux difficultés le front serein de l’honnêteté qu’il avait au fond de lui-même. Quand on pense que ce choix d’un idéal humain et humaniste a été celui des grands esprits du 17e siècle, qui le devaient euxmêmes à Montaigne, on ne peut manquer d’être impressionné par un tel éloge d’autant qu’il comporte des qualités aussi diverses que la maîtrise d’une vaste culture et le désir constant d’être agréable aux autres. Le deuxième aspect pourrait lui aussi se résumer d’un mot qui serait le mot gaîté, et peut-être peut-on aller jusqu’à parler d’une aptitude au bonheur, rendue manifeste du fait qu’Edmond Charlot retrouvait sa bonne humeur sitôt franchi l’un des obstacles qui n’ont pas manqué de se présenter en nombre au cours de sa vie (chacun en sera convaincu dès le premier regard sur sa biographie). En plus des deux mots qui viennent d’être évoqués, on peut citer encore cette phrase de René Gachet : L’on disait qu’Edmond sortait des ennuis sans qu’une ride se creuse sur son crâne imperturbable. Un front qui semble avoir été très impressionnant, comme le prouvent les photos et dessins dont nous disposons ! Pour les avoir lui-même connus, René Gachet pense surtout à tous les ennuis que la vie publique réservait aux serviteurs de l’Etat, mais il est clair qu’Edmond Charlot en a connu d’autres à titre privé et par exemple dans son métier d’éditeur. D’ailleurs le témoignage ici convoqué insiste bien sur le fait qu’Edmond Charlot n’était pas serviteur d’un pouvoir imposé de l’extérieur mais bien davantage des principes au nom desquels il avait vécu toute une vie. Et vient alors le mot valeur qui est certainement, pour cet honnête homme, un mot clef. non sans ajouter que selon ce témoignage, il s’agit de valeurs différentes, mot sur lequel on reviendra. Le troisième aspect consiste à parler d’Edmond Charlot comme d’un homme porté sur l’amitié et plus largement sur la coexistence, à un moment où pour ne prendre que cet exemple, entre la France et l’Algérie, elle était particulièrement improbable et difficile à réaliser ! Il fallait des dispositions personnelles aussi remarquables que celles d’Edmond Charlot pour tenir un tel pari, à l’époque où il l’a fait—c’est-à-dire après le temps des événements, autre manière de dire : la guerre d’Algérie. René Gachet se sent d’autant plus tenu d’insister sur ce point qu’Edmond Charlot semble avoir été extrêmement discret sur son action de représentant de la France et sur son rôle qui consistait, après les ruptures dramatiques que l’on sait, à renouer des liens avec le passé. René Gachet écrit à ce propos que c’était des liens sur lesquels il ne pérorait jamais mais que l’on retrouve dans les actions qu’il a initiées à Paris au service d’entreprises algériennes. Et il ajoute avec regret, voire avec reproche que, comme il arrive pour les gens qui ont été les plus efficaces et les plus dévoués mais qui ont ajouté à cela une très grande discrétion, l’on ne parle jamais de ses efforts pour assurer la coexistence et la communion entre ses actions et celle du gouvernement algérien. On peut toutefois ajouter, en dehors de ce témoignage, que le centenaire commémoré en cette année 2015 devrait permettre au contraire de rendre hommage à cette action, d’autant qu’elle s’efforce, comme le dit le titre de l’exposition qui aura lieu en octobre, de rejoindre les deux rives de la Méditerranée, en lesquelles on peut voir les deux versants de cet homme voué à l’échange et à la pluralité. Mare nostrum, cette dénomination latine fait preuve d’une merveilleuse imprécision car chacun peut se reconnaître dans le pluriel de nostrum. En Algérie comme dans le Languedoc-Roussillon, c’est toujours de notre mer qu’il s’agit ; Méditerranée vivante, comme dit très justement le titre de l’association qui a œuvré pour ce centenaire de la naissance d’Edmond Charlot. Ce qui n’est que justice puisqu’il avait créé lui-même à Pézenas l’association de ce nom. René Gachet, dans son éloge d’Edmond Charlot, lorsqu’il parle des valeurs qui ont été celles de toute une vie, ajoute qu’il s’agissait de valeurs différentes, on pourrait dire aussi diverses, ce qui est une autre manière de rendre hommage à sa faculté de conciliation, et à ce que fut son rôle pour établir ou restaurer des liens. Liens avec le passé, certes, comme le dit notre témoin, c’est-à-dire tels qu’ils existaient avant la guerre d’indépendance, mais liens dont on redécouvre, en 2015, à quel point ils sont chargés d’une vérité essentielle.
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