«La religion pour trahir la religion»
L’ivrEscQ : L’Occident pense tout bas que ce qui s’est passé en Egypte est un coup d’Etat orchestré par la gente militaire. Quel est votre avis ?
Karim Jbeïli : La révolution de 30 juin a ceci de tout à fait exceptionnel que, pour la première fois dans l’histoire, un peuple dénonce une religion politique au nom de la religion. Cette donnée est extrêmement importante parce qu’elle va bouleverser la carte politique du MO et peut-être du monde. Déjà on voit les intégristes, du monde entier, sortir de leur tanière pour défendre leurs comparses égyptiens. Cette fois, cependant, ils ne sont plus drapés du prestige de la religion. Ils apparaissent pour ce qu’ils sont : de simples mouvements politiques qui ont abusé de la religion.Les FM ne sont pas non plus n’importe quel mouvement politique. Ils ont essayé de cristalliser le nouvel état à leur profit et d’en faire un monopole. S’ils n’ont pas réussi ce n’est pas faute d’avoir essayé, c’est parce que les révolutionnaires égyptiens veillaient et ne se sont pas laissés faire. Le coup d’état c’est eux qui l’ont fait lorsque Morsi a sorti sa déclaration constitutionnelle.Je suis fier de mes compatriotes égyptiens de ce qu’ils aient compris que les FM brandissaient la religion pour trahir la religion, qu’ils brandissaient la démocratie pour trahir la démocratie.
L. : Religion et religion politique sont-elles finalement deux choses complètement différentes ?
K. J. : Ce qui réduirait grandement la complexité de phénomènes ce serait que l’on puisse distinguer entre religion et religion politique. On considère habituellement que la religion politique est une simple exagération de la religion. Alors que ce n’est pas vrai. Les religions politiques se ressemblent bien plus entre elles qu’elles ne ressemblent à leur religion «d’origine». Les religions ont un dieu, alors que les religions politiques ont le pouvoir et la conquête comme ambition. Les religions ont un esprit tolérant alors que les religions politiques ont un code rigide et intolérant.Il ne faut pas confondre l’intégrisme sunnite ou chiite avec la religion sunnite ou chiite. Il ne faut pas confondre le sionisme avec le judaïsme. Lorsqu’on fait cette confusion, même par inadvertance, on déculotte les Sunnites et on les oblige à devenir intégristes, comme si c’était devenu la norme, de même qu’on force les Chiites à devenir intégristes et les Juifs à devenir sionistes. Les intégrismes du Moyen-Orient se ressemblent et tendent tous vers un même but, l’instauration d’un MO intégriste où chacun sera dans son coin avec d’immenses murailles.
L. : Pourquoi la presse occidentale affiche ce dénigrement quant à la volonté des peuples arabes notamment en Egypte ?
K. J. : La presse occidentale fait fi de la volonté populaire qui s’est pourtant manifestée massivement. Le congédiement de Morsi, car il s’agit bien d’un congédiement, ne peut être aux yeux de l’Occident que le fruit d’un complot de la méchante Arabie Saoudite et de la méchante armée égyptienne dont, du reste, cet Occident ne cite que des rumeurs. Pour cette presse, la volonté populaire n’existe pas, elle ne peut être que manipulée par les puissants. Le monde occidental a tort de traiter la volonté des Égyptiens par dessus la jambe. Je crois, au contraire, qu’il s’agit d’un événement historique exceptionnel qui mérite d’être étudié et compris avec la plus grande attention. Car, non seulement, ils ont congédié les FM au nom de LA ou LES religions en ne se laissant pas impressionner par la bigoterie des Frères. Je me rappelle que les prélats de toutes les religions du pays étaient présents à l’annonce du coup d’état, mais de plus, ils ont exercé une forme de démocratie, cette fois de façon concertée, qu’ils ont été les premiers à inventer avec les Tunisiens et qu’on pourrait appeler la démocratie révolutionnaire. Que leurs souhaits aient été réalisés par l’armée et non par eux-mêmes, importe peu. Ce qui compte c’est que l’armée s’est légitimée à deux reprises de leur soutien. Dans cette valse à deux, je doute que ce soit le militaire viril qui prédomine comme vous semblez le croire. Les Égyptiens sont heureux de ces rencontres massives qui marquent pour eux une solidarité pleine d’espoirs. Ils ont été très déçus que l’Occident, comme un seul homme, ne reconnaisse pas leur mouvement. Ce dénigrement, tout aussi massif mérite lui aussi d’être étudié et compris. (…)
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Une Réponse pour cet article
Excellente analyse de la situation en Egypte. Je suis tout a fait d’accord avec la note d’espoir qui conclut la partie publiée en ligne.
Bravo Karim!
May
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